ANALYSES

« Les Etats utilisent le sport pour servir leur politique »

Presse
10 octobre 2015
Quel regard portez-vous sur le scandale qui éclabousse la FIFA ?
Cette affaire touche plutôt la question des paradis fiscaux. La FIFA basée en Suisse a été jusqu’à cette année dans une situation de quasi-impunité. Les autorités judiciaires suisses ont choisi de ne pas enquêter sur les affaires de la FIFA alors même que de nombreuses rumeurs de scandales et de fraudes généralisées visaient la fédération. Aujourd’hui, c’est différent. Depuis la crise de 2008, depuis la lutte contre l’évasion fiscale, et la volonté des opinions publiques d’aller vers plus de transparence, on ne peut plus laisser ce type d’organisation brasser beaucoup d’argent sans contrôle dans un système opaque où on utilise les systèmes financiers internationaux et des paradis judiciaires comme la Suisse. Je pense que cette période est révolue et c’est tant mieux.
Alors cette affaire révèle également le poids des États-Unis. L’arme judiciaire américaine qui ces dernières années n’a pas hésité à s’attaquer à Dominique Strauss-Kahn ou encore à l’affaire BNP-Paribas. Cette fois-ci, c’est le FBI qui a choisi de viser les grandes fédérations sportives qui ne sont pourtant pas hébergées sur leur sol.

Avant sa suspension, le Premier ministre français avait apporté son soutien à Michel Platini…
Il faut faire attention. En France, Michel Platini, ancien footballeur est une icône. Mais il est depuis maintenant une vingtaine d’années, dans les arcanes du pouvoir du football mondial. Et on sait que ce système FIFA ne joue pas dans la transparence et la légalité. A l’extérieur, Michel Platini est vu comme un bureaucrate du football et beaucoup disent que tout est truqué, que Platini est finalement comme les autres. Il est vrai que l’on ne peut pas dire qu’il est forcément un chevalier blanc simplement parce qu’il est français ou parce qu’il est un ancien footballeur. Cela revient à dire que le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à nos frontières.
D’ailleurs, les révélations des enquêteurs suisses, qui apparemment vont peut-être être complétées par d’autres éléments, laissent forcément planer le doute sur l’image et la personne de Platini depuis qu’il est à la tête de l’UEFA et qu’il siège à la tête du comité exécutif de la FIFA. C’est pourquoi il faut être extrêmement prudent et attendre car cette affaire évolue très vite.

Avec cette intervention des États-Unis, dont on sait que les positions divergent avec la Russie notamment sur les dossiers syriens et ukrainiens, une contestation de l’attribution de la Coupe du monde de football à la Russie serait-elle possible ? Voire celle de 2022 au Qatar ?
Il y a beaucoup de rumeurs de trucages sur l’attribution de ces deux Coupes du monde. Maintenant, il n’y a toujours pas de preuves officielles de ces potentielles malversations. Si elles arrivent cette année, et si la FIFA veut décider de réattribuer les Coupes du monde de 2018 et 2022, il faudra attendre la mise en place du nouveau président qui devrait être élu en févier 2016. Le temps qu’il se mette en place, on sera à l’été 2016. Soit deux ans avant la Coupe du monde. Il sera bien trop tard pour retirer à la Russie son organisation. D’autant que les stades très coûteux ont été construits, que tous les contrats de sponsoring de marketing et de droits télévisuels ont déjà été signés. Idem au Qatar. Les infrastructures sont en train d’être édifiées. Des immenses chantiers pour lesquels l’Etat qatari a déboursé beaucoup d’argent. Il sera difficile pour la FIFA de revenir sur une décision prise en 2010 même si son image est écornée par cette affaire. Ses liens avec l’ensemble des partenaires économiques et commerciaux en seraient véritablement fragilisés.

Le sport est-il le reflet des évolutions géopolitiques ?
Oui bien sûr comme d’autres secteurs d’ailleurs. Les évolutions des rapports de force entre les pays, l’émergence de nouvelles puissances se retrouvent à travers le sport. De multiples exemples le démontrent comme la distribution de l’organisation de grands événements sportifs. Les dernières Coupes du monde de football ont ainsi eu lieu en Afrique du Sud et au Brésil, deux pays BRICS, (l’acronyme anglais qui désigne le groupe des cinq pays Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). La prochaine se déroulera en 2018 en Russie. Ce sont là les grandes puissances émergentes des années 2000. Celles qui mettent de l’argent pour recevoir ces événements, véritables vitrines de leur développement économique et de leur affirmation politique sur la scène internationale. L’organisation de telles compétitions, c’est aussi l’opportunité pour les pouvoirs en place de faire passer un message auprès de leur population. De montrer qu’ils sont capables d’accueillir les événements les plus médiatiques au monde, qu’ils sont de fait parvenu à une certaine maturité.
Le Qatar en est un exemple. Le pays est devenu très riche grâce à la découverte d’hydrocarbures dans son sol et dans son espace maritime. Il a également été un pionnier dans l’industrialisation du gaz naturel liquide. Voilà comment il a pu s’investir dans le sport. Le sport lui a permis de devenir un pays connu alors qu’il y a une quinzaine d’années, personne ne savait où le situer. Aujourd’hui, le football, le sport le plus médiatique, permet au Qatar d’exister, de se faire un nom que ce soit à travers l’acquisition du Paris Saint-Germain, l’accueil de la Coupe du monde 2022 ou encore la construction d’un centre médical sportif de pointe.

Dans un tel contexte, se pose la question du rôle politique du sport…
Les organisations sportives n’ont pas été créées pour servir de vitrine aux Etats. Ce sont les Etats eux-mêmes qui instrumentalisent le sport, qui l’utilisent pour servir leurs politiques intérieure et étrangère.

C’est-à-dire ?
A l’été 1936 à Berlin, le régime nazi utilise la plate-forme des Jeux olympiques pour vanter les mérites de la race aryenne. Les Jeux de Pékin en 2008 sont peut-être aussi un élément de propagande pour le régime en place. Mais quelque part si Paris accueille les Jeux de 2024, ce sera aussi une manière de vanter la société française, sa diversité notamment. Et certains pourraient alors critiquer en disant « regardez les banlieues, ce n’est pas un exemple d’intégration ». Et pourtant, en cas de victoire, l’État insistera sur les valeurs d’intégration du pays. A chaque fois, le sport véhicule des messages politiques pour les États qui choisissent de l’instrumentaliser.

On l’a vu à travers l’histoire, le sport a permis également de renouer les liens entre deux nations…
Effectivement, c’est une autre capacité du sport. Mais finalement là aussi, le sport est utilisé.
Dans les années 70, les Etats-Unis et la Chine organisent des rencontres de ping-pong entre leurs délégations. Ce qui va permettre le rétablissement des relations diplomatiques entre la Chine communiste et les Etats-Unis alors en pleine guerre froide. Mais ce rapprochement est dû à la volonté de Mao Zedong d’une part et de la puissance américaine de l’autre. Tous deux ayant pour ennemi commun l’URSS. Les deux pays ont ainsi utilisé les rencontres sportives pour officialiser leur rapprochement alors qu’en vérité, ce dernier était profondément contraire à leur idéologie de l’époque.

Aux JO de Mexico en 1968, Tommie Smith et John Carlos, deux coureurs américains, 1er et 3e de la finale du 200 mètres protestent contre la ségrégation raciale aux États-Unis en levant le poing pendant l’hymne américain. On est bien là dans l’expression directe d’un peuple et non plus dans la manipulation étatique.
Effectivement mais les organisations sportives interdisent ce genre d’expression politique sur le terrain sportif. D’ailleurs, les deux athlètes américains ont été suspendus et exclus à vie des JO. Les codes sportifs interdisent d’utiliser le terrain pour quelconque expression politique, idéologique et religieuse. L’exemple de 1968 est rare. Aujourd’hui, les sportifs viennent dans les compétitions pour concourir et gagner.

Pour certains, l’organisation des JO d’Athènes en 2004 a plongé le pays dans le déficit. Est-ce à dire que les retombées ne sont pas toujours aussi positives que l’ampleur et le succès de ces manifestations pourraient laisser penser ?
Il existe des bons et des mauvais exemples. Disons que l’organisation d’événements comme les Jeux olympiques peut aussi se retourner contre le pays hôte si jamais il rencontre déjà des problèmes financiers. Les caméras du monde entier peuvent également être braquées sur certains aspects négatifs. Par exemple au Qatar, beaucoup de commentateurs critiquent le fait que les travailleurs illégaux sur les chantiers soient en situation de quasi-esclavage. Et pourtant, dans toute cette région, on utilise ce même principe de travail illégal. Les J.O sont une vitrine à double tranchant.

Doit-on ou non alors organiser ce type d’événements dans des pays où les droits de l’Homme sont bafoués ?
Les organisations sportives choisissent un pays non pas en fonction de son système politique, mais parce qu’elles estiment que l’État est capable de payer et d’accueillir les compétitions dans des conditions législatives et sécuritaires favorables.
Le Comité olympique européen a ainsi choisi Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan pour ses premiers J.O européens cet été. Or on le sait, l’Azerbaïdjan n’est pas un pays où l’on peut s’exprimer librement. Faut-il rappeler également que la Chine a accueilli les J.O d’été en 2008. Ou encore que la Russie va recevoir la Coupe du monde de football en 2018 après avoir organisé les J.O d’hiver en 2014. La question des droits de l’Homme est une question malheureusement peut-être secondaire dans l’agenda des organisations sportives.

Selon vous quelles sont les chances de Paris d’accueillir les J.O de 2024 ?
La capitale est l’un des favoris. Paris est un candidat très important qui possède déjà beaucoup d’infrastructures. C’est une ville historiquement sportive. Une ville mondiale, la première destination touristique au monde. Paris bénéficie de nombreux soutiens au sein du Comité olympique et a d’ailleurs mis en place une stratégie de publicité et de communication percutante. Paris a donc toutes ses chances mais il y a en face des candidats très sérieux comme Los Angeles et Hambourg qui ont aussi des atouts. Personne aujourd’hui ne peut prédire le résultat.

Au-delà des tumultes financiers et des stratégies politiques, n’est-ce pas le moment de rappeler la quintessence du sport ? Ses valeurs de partage qui rassemblent les peuples ?
Oui car toutes ces affaires ont forcément fragilisé l’image du sport. Alors que les valeurs sportives, si elles existent, devraient être celles de la solidarité, du partage, du dynamisme de la jeunesse, de la transparence… Malheureusement, le sport n’échappe pas à la tentation d’individus de profiter de situations où il y a beaucoup d’argent et très peu de contrôle. Et effectivement, il y a besoin d’un sport plus exemplaire. Mais on se rend compte que le sport n’est que le reflet de la société qui l’abrite. Pour autant, la situation actuelle n’est pas une fatalité. Des entreprises ont mis en place des systèmes d’audit financier, de contrôle du processus décisionnel d’attribution de contrats. Il existe des techniques pour surveiller la gouvernance du sport et l’ensemble des décisions qui sont prises par les organisations. Le système peut donc être amélioré.
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