ANALYSES

A la veille du sommet « format Normandie » à l’Élysée, quel est le jeu de la Russie sur la scène internationale ?

Interview
1 octobre 2015
Le point de vue de Jean de Gliniasty
Comment entendez-vous la position russe sur la Syrie ? Pensez-vous que son investissement dans la résolution de crise lui permettra d’adoucir les positions des autres pays tels les États-Unis, notamment sur l’Ukraine ?
La position russe sur la Syrie a le mérite de la constance. Cela fait trois ans que les Russes affirment que le plus important pour eux et pour le monde, dans le cadre de la lutte contre l’islamisme, est de sauver les structures étatiques syriennes, dont ils savaient pertinemment qu’elles étaient essentiellement alaouites. Ainsi, la priorité de la Russie est de sauver l’État syrien, l’expérience irakienne leur ayant enseigné que l’effondrement de l’État créait un vide rempli par les islamistes. Cette constance russe s’observe à travers les entretiens bilatéraux et lors des discussions à Genève (Genève 1, Genève 2). Maintenant que la situation s’aggrave sur le terrain, les pays occidentaux sont davantage sensibles à cette orientation russe dans la mesure où leur position qui était le « ni, ni » ( ni Daesh ni Assad), à savoir attaquer Daech d’un côté sans pour autant soutenir Bachar al-Assad de l’autre, a évolué. Le curseur sur la guerre contre le président syrien a bougé notamment aux États-Unis ou en Allemagne, la lutte contre Daech étant devenue une priorité. Mais la méfiance demeure dans la mesure où le déploiement des forces russes en Syrie est plus vu en Occident comme le moyen de soutenir Assad que de vraiment lutter contre Daesh. A ce stade, il est difficile de dire si ce rapprochement très relatif aura des conséquences sur la crise ukrainienne. Il semble que les dirigeants américains et russes n’en aient pas beaucoup parlé à New-York.

Quelle est la situation économique russe suite aux sanctions de l’Union européenne ? Comment la Russie s’organise-t-elle pour y faire face ?
Les effets de la baisse des prix du pétrole et du gaz, ajoutés aux effets des sanctions, se mélangent pour créer à Moscou un sentiment de moindre prospérité. On observe, notamment, un certain changement au sein de la capitale russe. Par exemple, les restaurants ne sont pas aussi pleins, les embouteillages sont beaucoup moins marqués, il est difficile de changer de grosses coupures et la fréquentation des magasins diminue. La Russie traverse une crise qui est perceptible. Il est difficile de savoir s’il faut imputer ce phénomène à la baisse des prix du pétrole ou bien aux sanctions. Ce qui est sûr, celles-ci, affectant notamment le secteur bancaire, ont un effet sur le taux d’investissement russe qui a tendance à baisser. Par ailleurs, les financements chinois se font attendre. De même qu’en Europe occidentale les sanctions font souffrir les économies, les Russes souhaiteraient arriver à une solution qui permettrait de commencer le processus de sortie des sanctions. C’est un des enjeux de la réunion du 2 octobre.

Poutine, Porochenko, Merkel et Hollande se rencontrent ce 2 octobre à Paris pour poursuivre les pourparlers sur la question ukrainienne dans le cadre de l’accord de Minsk. Ce rendez-vous est-il déterminant ? Où en sont les pourparlers ?
Il faut espérer que cette réunion constituera un tournant. D’abord, cet évènement marque une certaine réussite de la diplomatie française car le « format Normandie » est une invention française, coordonnée avec les Allemands. La France a en effet réussi à imposer cette réunion dans des circonstances difficiles en juin 2014, marquées par une discorde avec la Russie. A l’époque, les Américains ne voulaient ni ce format, ni entamer de discussions. Les fruits de cette organisation en ont été les accords de Minsk 2, première solution efficace pour tenter de faire baisser la tension en Ukraine. Le 2 octobre constitue l’aboutissement de ce processus.
Théoriquement, les chefs d’Etat viendront avec de bonnes intentions. Les Français et les Allemands veulent commencer le processus de décélération de la crise. Le président ukrainien Porochenko a reconnu récemment que la ligne de cessez-le-feu était respectée. C’est la première fois qu’il ne se plaint pas des violations répétées par les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Les groupes de travail créés par l’accord de Minsk 2 travaillent sous l’égide de l’OSCE de façon difficile mais satisfaisante. Un certain nombre de résultats ont été obtenus tels que le retrait des armements très lourds ou les échanges de prisonniers. Il est maintenant question du retrait des armes de moins de 100mm. Le processus politique (fédéralisation) est en marche, non sans à-coups.
L’élément qui jette une hypothèque sur la réunion du 2 octobre réside dans le fait que l’Union européenne et le G7 ont décidé par consensus que les sanctions devaient durer tant que les accords de Minsk ne seront pas totalement réalisés et appliqués. Or, ces accords impliquent des processus politiques complexes du côté ukrainien. Ce sont aussi des concessions importantes de la part des républiques autoproclamées et des Russes, en ce qui concerne le contrôle de la frontière russo-ukrainienne du côté de Lougansk et de Donetsk. Tout cela prend du temps et l’échéance de janvier risque de ne pas être respectée. Si l’on prend en compte le fait qu’une partie importante des responsables du côté de ces provinces ne souhaitent pas l’application des accords de Minsk, préférant un attachement pur et simple à la Russie, et que, de l’autre côté, beaucoup d’Ukrainiens ne souhaitent pas intégrer les gens des zones séparatistes dans la république ukrainienne, n’étant donc pas favorables non plus aux accords, il existe un risque sérieux que de nouvelles explosions se fassent entendre au moment où devra être discuté l’allègement des sanctions, engendrant ainsi de nouvelles tensions.
La réunion du 2 octobre comporte ainsi des enjeux très importants et s’avère déterminante pour savoir si l’on est sur les rails d’une sortie de crise en Ukraine, qui ne pourra être que longue et progressive.
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