ANALYSES

L’internationalisation du conflit syrien

Presse
21 septembre 2015
En Syrie, la guerre civile internationalise. Outre l’implication à des degrés divers de puissances régionales- l’Iran et les monarchies du Golfe- aux côtés des différents protagonistes de ce conflit, Occidentaux et Russes renforcent leur engagement, mais sans que cette tendance ne dessine une quelconque sortie de crise. Au contraire.

D’un côté, la Russie confirme son soutien inconditionnel au régime d’al-Assad et fait désormais de Daesh un ennemi stratégique commun, justifiant une présence renforcée sur les territoires encore tenus par les forces « loyalistes ». Déjà présentes dans le port méditerranéen de Tartous, les forces russes ne cessent de s’étoffer avec l’envoi de conseillers et de soldats (dont le nombre reste difficile à chiffrer), mais aussi d’hélicoptères militaires, de quelques chars, de pièces d’artillerie, de véhicules blindés de transport de troupes, etc.Un cap semble franchi avec le déploiement- non officiel- d’avions de combat dans la région de Lattaquié, fief de Bachar al-Assad. Une base aérienne tend ainsi à se constituer dans un bastion de la communauté alaouite qui soutient le régime.

De l’autre, l’intervention militaire des forces occidentales- américaines, françaises et britanniques- tend à s’intensifier. Toutefois, l’essentiel de leur stratégie se résume à une « occupation » du ciel et de la mer. Non seulement l’intervention terrestre demeure officiellement exclue (sauf indirectement, à travers le soutien d’une coalition d’armées arabes qui interviendrait au sol), mais une inflexion du discours est à noter : l’ennemi numéro 1 n’est plus le régime d’al-Assad, mais les forces djihadistes de Daesh. Une hiérarchisation discutable qui procède d’un raisonnement se voulant pragmatique: la menace terroriste qui pèse sur le monde occidental et la crise des réfugiés à laquelle l’Europe est confrontée ont pour principaux responsables les groupes djihadistes. Dont acte. Reste qu’un flou saisissant demeure au sujet des raisons, des modalités et des objectifs précis d’une telle entreprise. S’agit-il de faire tomber in fine le président Assad, à l’instar du scénario libyen ? Outre l’existence de ce précédent, les interrogations sont légitimes au regard de l’incohérence de la stratégie occidentale depuis le début du conflit : soutien des groupes libéraux opposées au régime, mais sans leur donner les moyens de le combattre ; fixation d’une « ligne rouge » à ne pas franchir (à savoir le recours d’armes chimiques), ligne qui sera franchie par les forces du régime contre sa propre population civile, sans réaction coercitive de la communauté internationale, etc.

Aujourd’hui, on peut s’interroger à propos d’une stratégie militaire qui se résumerait à des frappes aériennes, stratégie dont l’inefficacité- contre les djihadistes en Irak et en Afghanistan- a déjà été démontrée. Aussi, frapper uniquement Daesh, n’est-ce pas faire le jeu de Bachar al-Assad et se retrouver dans une position d’allié objectif de son régime sanguinaire ? De plus, la principale source de la dynamique djihadiste n’est pas d’ordre militaire mais politique : Daesh répond à une demande ou du moins comble un vide, car les communautés sunnites se sentent exclues du pouvoir central irakien et syrien « confisqué » par les chiites. Non seulement l’organisation djihadiste a établi un ordre juridique, administratif et politique sur les territoires qu’elle contrôle, mais cette autorité tente d’incarner un « pouvoir sunnite ».

Il faut donc briser les ressorts du « soutien populaire » dont peut se targuer Daesh, en permettant aux sunnites de réintégrer le système politique en Irak et en Syrie. Cette dernière condition suppose que Bachar al-Assad quitte le pouvoir à Damas. Hypothèse rendue difficile par l’incapacité de prolonger l’effort militaire par l’ouverture d’un front diplomatique basé sur des négociations qui incluent les puissances régionales et internationales parties prenantes, y compris la Russie, l’Iran et les Monarchies du Golfe.

Ainsi, à elle seule, la décision d’extension des frappes aériennes n’ouvre nulle perspective stratégique et politique en vue de sortir la région du chaos dans lequel elle est plongée. Seule l’ouverture d’un dialogue diplomatique constructif est efficace entre les puissances régionales directement impliquées, d’un côté, et entre occidentaux et la Russie, de l’autre. Ce second volet est rendu difficile par la crise ukrainienne et l’invasion russe de la Crimée en mars 2014. En cela, sur le plan diplomatique, les dossiers syriens et ukrainiens sont intimement liés. La voie du compromis existe malgré tout et suppose deux conditions préalables : la reconnaissance d’un ennemi/intérêt commun- Daesh- et le départ de Bachar al-Assad (quitte à le remplacer par une autre figure liée au régime).
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