ANALYSES

Tempête sur les lois de défense à Tokyo : derrière la polémique sur la fin du pacifisme au Japon, le défi des nouveaux équilibres militaires en Asie

Presse
21 septembre 2015
Samedi 19 septembre, le Parlement japonais a voté en faveur de nouvelles lois autorisant son armée à intervenir lors de conflits extérieurs. C’est une première depuis l’adoption d’une Constitution pacifique à la fin de la deuxième guerre mondiale. D’où vient cette soudaine remise en question de la Constitution ? On connaît les tensions actuelles entre le Japon et la Chine, est-ce là la raison principale de ce changement d’orientation ?
Barthélémy Courmont : Les milieux conservateurs sont, depuis longtemps, désireux de modifier la Constitution, ou de l’interpréter différemment afin de donner une plus grande marge de manœuvre aux forces d’autodéfense japonaise. De son côté, l’opinion publique est dans sa majorité attachée à sa Constitution et à l’article 9, qui interdit l’envoi de troupes sur des théâtres extérieurs. Ce n’est donc pas fondamentalement un débat nouveau. En revanche, c’est le contexte international et l’environnement sécuritaire du Japon qui a changé.
La Corée du Nord est aujourd’hui une puissance nucléaire, et possède des missiles pouvant frapper n’importe quel point dans l’archipel. Mais c’est bien sûr la rivalité avec la Chine qui est au centre de toutes les attentions et la perception de la menace chinoise, à défaut de justifier une nouvelle interprétation de la Constitution, expliquent la position plus « confortable » dans laquelle se trouve les conservateurs et Shinzo Abe, le Premier ministre, en tête.

Cela change-t-il la donne au niveau du rapport des puissances asiatiques ? Ce changement législatif pourrait-il redistribuer les carter dans la région ?
Compte-tenu des tensions multiples qui opposent le Japon à ses voisins, Corée du Nord, Corée du Sud autour de l’îlot de Dokdo/Takeshima, et Chine autour des îles Senkaku/Diaoyu, cette modification est potentiellement déstabilisante. Mais les rapports de force ne sont pas modifiés pour autant. Cette décision confirme surtout la résurgence des rivalités en Asie du Nord-est, et doit être mise en relation avec les tensions dans la péninsule coréenne et la croissance des capacités militaires chinoises.

Le gouvernement de Shinzo Abe a déclaré vouloir pouvoir prêter mains fortes aux Etats-Unis lors de conflits proches du Japon. Comment le gouvernement de Barack Obama entrevoit cette nouvelle législation Japonaise ? Que peut-on concrètement attendre d’une armée dont les capacités de développement ont été extrêmement restreintes pendant plus de 60 ans ?
Cette nouvelle donne est un défi pour Washington. Dun côté, les Etats-Unis peuvent se réjouir de voir leur principal allié en Asie-Pacifique prendre l’initiative, et Abe avait promis au Congrès américain d’effectuer ce changement. De l’autre, Washington s’inquiète des tensions Tokyo-Pékin, et de tout signe pouvant les renforcer. En ce qui concerne l’état des forces japonaises, il convient de rappeler qu’avec un budget de défense à hauteur d’1% de son PIB, le Japon entretient depuis des décennies des forces modernes et bien entrainées. C’est la nature de leur engagement qui est ici modifié, mais cela ne signifie pas une évolution qualitative des forces.

Si pour le moment l’armée Japonaise ne peut que prêter forte à ses alliés, est-il possible que de nouveaux changements législatifs lui donnent la possibilité au pays d’être l’instigateur d’un conflit ?
Il s’agit d’une réinterprétation de la Constitution, mais elle ne modifie pas en profondeur le rapport du Japon à la défense.
C’est en fait sur les opérations multilatérales que le changement pourrait être fort, Shinzo Abe étant attaché au principe de défense collective. Le Japon ne devrait en revanche pas se lancer dans des opérations unilatérales, au risque de voir les opposants multiplier les coups de force.

La population japonaise était opposée à 55% à ces nouvelles régulations. De nombreuses manifestations ont eu lieu ces derniers jours. Dans ce contexte, ce nouveau texte de loi ne pourrait-il se retourner contre le gouvernement japonais ?
Mais la mobilisation des mouvements pacifistes, qui est mise en relief depuis quelques semaines, n’a pas la même ampleur que dans les années 1960 et 1970, quand la question du partenariat stratégique Japon – Etats-Unis cristallisait les tensions. Le cabinet Abe a choisi de faire passer sa réforme un vendredi, et à la veille d’une période de congés. Cela risque de réduire la mobilisation des mouvements pacifistes. Mais la population veille malgré tout, et ne manquera pas de se mobiliser pour marquer son opposition à la moindre occasion.
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