ANALYSES

Troisième visite d’un pape à Cuba, un donnant-donnant sans vainqueur ni vaincu

Presse
21 septembre 2015
François est le troisième souverain pontife reçu à La Havane en moins de vingt ans. Seul le Brésil sur le continent américain a bénéficié de cette sollicitude vaticane. Jean-Paul II, Benoit XVI et aujourd’hui François, se sont succédés sur le sol cubain, respectivement en 1996, 2012 et 2015. Le Brésil est depuis toujours considéré comme la réserve catholique du monde. Une réserve menacée par les évangélistes de tout poil et qu’il convient selon les plus hautes autorités catholiques de préserver. Mais Cuba, pourquoi trois voyages officiels à Cuba ? Un petit pays de 11 millions d’habitants, laïque depuis peu, passé par une phase d’athéisme officiel ?

Ceci sans doute explique cela. Le Saint-Siège a multiplié les contre-feux idéologiques et pris beaucoup d’initiatives pour permettre la survie des Eglises en difficulté. L’Eglise de Cuba, comme celles hier des pays communistes d’Europe, et d’Asie, est du lot. La prise de pouvoir par Fidel Castro en 1959 avait été accompagnée de pressions croissantes visant à réduire l’espace institutionnel de l’Eglise cubaine. Ecartés de toute fonction sociale, à l’école, l’université ou la santé, les religieux catholiques avaient été aussi interdits de manifestations publiques, et donc de processions. Les jours fériés à caractère religieux avaient été supprimés. La Constitution de 1976 avait donné à l’athéisme une valeur sociale et institutionnelle fondamentale.

Les temps ont manifestement changé. La Constitution a été modifiée en 1992. Cuba n’est plus athéiste, mais laïque. Après la première visite papale en 1996, celle de Jean-Paul II, les processions avaient de nouveau été autorisées. Puis les fêtes religieuses avaient retrouvé leur place dans le calendrier des jours fériés. L’Eglise catholique avait pu regagner un rôle social. Seule elle dispose aujourd’hui d’un réseau associatif couvrant de façon autonome la totalité du territoire. Prêtres et religieux disposant des compétences nécessaires peuvent assurer des activités d’enseignants. La visite de François a été marquée par l’annonce pour la première fois depuis la révolution de la mise en chantier de trois nouvelles Eglises. Les catholiques se sont vus reconnaitre la capacité d’acquérir des matériaux de construction de façon autonome, afin de procéder à l’entretien de leurs temples.

François avait accueilli le président Raúl Castro au Vatican en mai 2015. De façon inédite le chef de l’Etat cubain a assisté avec son gouvernement à la messe célébrée sur un lieu symbolique pour les autorités, la Place de la Révolution. François a tenu à saluer l’ex-président, Fidel Castro auquel il a remis, à sa demande, des ouvrages religieux. Le pape lui a offert un ouvrage d’un jésuite qui avait été son tuteur au collège Belén, Armando Llorente. Le Commandant en retour a offert au Souverain Pontife un ouvrage du théologien brésilien de la libération, Frei Betto, « Fidel Castro et la Religion ». Le Pape n’a pas reçu de dissidents au cours de ce déplacement. Et il a tenu des propos commentés de façon contradictoire par les organes de presse. Pour les uns il aurait dans ses homélies condamné l’intolérance persistante des autorités. Pour d’autres au contraire il aurait apporté une caution diplomatique au régime cubain.

Les propos tenus doivent être replacés dans leur contexte, historique, comme conjoncturel. Cuba cherche une stabilité perdue depuis la disparition de l’Union soviétique. Son économie peine à répondre aux attentes de la population. Les repères idéologiques sont devenus incertains depuis le virage idéologique marqué par le réalisme pris par l’autre pays de référence, la Chine. La recherche pragmatique d’issues de secours a naturellement conduit le parti communiste cubain à chercher un accord avec l’organisation adverse qui lui ressemblait le plus, l’Eglise catholique. Dogme, verticalisme, hiérarchie et obéissance, secret, créaient les conditions d’un dialogue. Jean-Paul II, pape polonais, pape d’un pays communiste, l’avait compris. Tout comme Fidel Castro, dirigeant de la Révolution certes, artisan du virage communiste et antireligieux pris par le régime, oui, mais homme d’Etat formé dans les collèges jésuites.

Le compromis recherché par les uns et par les autres a eu pour objectif premier une consolidation mutuelle. L’Etat cubain a trouvé dans le Vatican une autorité universelle lui accordant une reconnaissance internationale. En visitant Cuba, les Papes ont quelque part apporté une caution et une légitimité aux autorités. Elle était lisible de façon ostentatoire dimanche 20 septembre 2015. Le pape François a accepté que sa première messe soit organisée sur le lieu des rituels du régime, la Place de la Révolution, face à un immense mur couvert par le drapeau cubain, décoré de la figure du Che Guevara, martyre de la révolution, d’origine argentine, adossé au monument dédié au père de l’indépendance, José Marti. L’Etat cubain en retour a depuis 1996, comme signalé, restitué au catholicisme une place qu’il lui avait été déniée au lendemain de la révolution. Cet espace a été progressivement consolidé et élargi. D’une certaine façon la messe célébrée par le Pape sur le terrain symbolique du régime peut être lu tout aussi bien comme le témoignage d’une conquête spirituelle.

Le reste, les propos tenus seraient-ils secondaire ? Certainement pas. Les espaces de dialogue partagés ont donné au Pape l’occasion de signaler deux messages. Deux messages qui conviennent aux intérêts de l’Eglise comme à ceux des autorités cubaines.

Le premier concerne l’incontournable nécessité du dialogue pour résoudre les conflits, les contentieux, voire les guerres. Dans son homélie Place de la Révolution, comme à l’occasion de la messe célébrée dans la cathédrale et des recommandations adressées à la jeunesse cubaine, le Pape François a martelé ce message. Le cardinal Jaime Ortega l’a remercié d’avoir contribué au rapprochement entre la Havane et Washington. Le pape dans sa réponse a répondu en citant la priorité régionale du moment, tout faire pour la réussite du dialogue engagé à Cuba entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC. Puis il a élargi le propos. Les hommes doivent a-t-il dit privilégier l’esprit de miséricorde. Ils doivent rompre avec l’esprit de clan et d’idéologie pour aller vers le pardon, « l’amitié sociale ». Celle qui permet d’aller vers le « bien commun », que l’on soit communiste, catholique ou sans religion. Ce message s’appuyant sur l’acquis de la réconciliation entre Cuba et les Etats-Unis, s’adressait aussi aux parties en guerre au Proche-Orient. Le Pape a ainsi longuement évoqué devant les jeunes Cubains du Centre culturel Padre Félix Varela, l’Europe et ses adolescents incapables de « rêver », prise dans une crise de sens. « Le monde » a-t-il ajouté, « a besoin de réconciliation, alors que nous vivons une atmosphère de troisième guerre mondiale ».
Le second message a été particulièrement exposé aux représentants du clergé régulier et séculier cubain, venu l’écouter dans la cathédrale de La Havane. Il portait sur la pauvreté. Ce moment de changements économiques dans l’ile, d’ouverture sur les Etats-Unis, ne doit pas être, leur-a-t-il déclaré, celui de l’oubli des valeurs de simplicité et d’austérité, attachées à l’esprit de Jésus. Le Dieu argent, celui de l’économie de marché, et des religions nouvelles fondées sur la théologie de la prospérité, ne doit pas, être celui de notre Eglise, à Cuba comme ailleurs.
Y-aurait-il donc un risque « déviationniste » potentiel ou réel au sein de l’Eglise cubaine ? En tous les cas remisant les feuilles qu’il avait préparées à Rome, le Pape François a improvisé un discours de fermeté éthique. Même si a-t-il dit cela « va déranger le cardinal Ortega », je dois rappeler « que la richesse chez un religieux, est source d’appauvrissement de l’âme ».
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