ANALYSES

« Les terroristes veulent salir l’image d’un pays »

Presse
19 août 2015
Pascal Boniface est le directeur de l’Iris, l’Institut de relations internationales et stratégiques, en France. Au lendemain de l’attentat de Bangkok, il revient sur la raison qui pousse des terroristes à s’en prendre à des touristes ou à des lieux touristiques.

Les responsables de l’attentat de Bangkok visaient-ils les touristes en particulier ?
On n’en sait encore rien. Il est prématuré de le dire, il faudra attendre les résultats de l’enquête. Mais il y a de fortes chances que le tourisme était visé, pour affecter le gouvernement et le régime thaïlandais. C’est un mode opératoire assez connu : dans de nombreux pays, le tourisme est une des principales sources de revenus. En visant ce secteur d’activité, les terroristes essaient de salir l’image d’un pays, de le désigner comme une destination non sûre. Ils veulent priver le pays de ses ressources en devises, en emprunts, pour affaiblir le gouvernement et les autorités, mais aussi pour augmenter le malaise social dans le pays. C’est une stratégie bien connue, qui a été appliquée à de nombreuses reprises.

Quels exemples vous viennent directement en tête ?
La Tunisie et l’Egypte. Le cas de Sousse, en Tunisie, est le plus évident : l’attentat visait directement un hôtel fréquenté par des touristes étrangers. Une façon d’afficher au monde entier que la Tunisie n’est pas une destination sûre… C’était déjà le cas avec l’attentat de Tunis, au musée du Bardo d’ailleurs. Mais il y a un paradoxe : lorsqu’il s’agit d’attentats à New York, à Londres ou à Paris, il n’y a pas de répercussions directes pour ces pays. Ce sont surtout les pays du sud, où le tourisme est essentiel, qui sont vidés de leurs touristes après un attentat. Paris et New York sont toujours autant fréquentés ; la Tunisie ne l’est pas. La méfiance est plus grande à l’égard des pays du sud, musulmans qui plus est.

A quand remontent les premières attaques terroristes contre des touristes ?
A la fin des années 1990, en Egypte, où le tourisme était devenu l’un des quatre piliers de l’économie du pays.

Aujourd’hui, y a-t-il plus d’attentats contre des touristes qu’avant ?
Disons qu’il y a beaucoup plus de focalisation sur le sujet qu’auparavant. Mais c’est oublier que les pays qui souffrent le plus du terrorisme ne sont pas des destinations touristiques : la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, le Nigeria… Dans ces pays, le terrorisme se greffe sur une guerre, et ferme totalement le pays au tourisme. Personne n’aurait l’idée d’aller visiter la Syrie ou l’Irak! Il y a donc toujours un écart entre l’aspect spectaculaire et l’impact réel de l’attentat. Si on fait le compte des touristes qui meurent dans des pays comme la Tunisie, l’Egypte et maintenant la Thaïlande, il y a plus de chances de mourir d’un accident de voiture que dans un attentat. Et pourtant, on parle beaucoup plus des cas de terrorisme…Les terroristes réussissent donc leur coup. Oui. On parle d’eux beaucoup plus, et de plus en plus. On peut d’ailleurs se demander si on ne tombe pas dans le piège qu’ils nous tendent. Ils veulent attirer l’attention sur eux et notre société, qui est avide de savoir, tombe dans le piège.

L’objectif des terroristes est donc double ? Attirer l’attention sur eux et saboter l’économie d’un pays touristique ?
C’est leur volonté, oui. Ils veulent affaiblir les régimes en place en touchant le tourisme. Parce que si le tourisme s’effondre, le pays aussi. Les terroristes emploient la théorie du chaos : ils veulent plonger un pays dans le chaos parce qu’ils pensent que ce chaos va provoquer le changement politique qu’ils souhaitent. Et en même temps, ils veulent attirer l’attention sur eux. Ces deux objectifs ne sont pas incompatibles, et sont certainement cumulables.
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