ANALYSES

« Les militants préfèrent s’investir dans des actions concrètes »

Presse
21 août 2015
Interview de Eddy Fougier - La Croix
Alors que les partis ont du mal à séduire de nouveaux adhérents, les jeunes semblent davantage attirés par de nouvelles formes d’action, dans les mouvements altermondialistes ou, à l’opposé, dans « La manif pour tous ». Est-ce un phénomène nouveau ?
En 1968, déjà, les jeunes étaient tentés par des formes d’engagement en marge des partis traditionnels. Certains se lançaient dans l’aventure maoïste, d’autres dans le retour à la terre ou le mouvement hippie. La grande différence, c’est qu’aujourd’hui la crise des partis est encore plus forte et surtout qu’il existe bien plus de possibilités de s’engager.
À côté du mouvement associatif et des ONG, on a vu se développer des formes d’engagement via les réseaux sociaux. Ce e-militantisme fonctionne à plein et devient très visible, renforçant la désaffection pour les partis.

Ce militantisme en dehors, et parfois même contre les partis traditionnels, est-il en mesure de se structurer en force politique ?
Beaucoup de mouvements naissent et parfois se développent en rassemblant ceux qui veulent défendre un projet précis, ou s’y opposer : la taxe Tobin, le barrage de Sivens ou le « mariage pour tous ». Ils ont en revanche toujours du mal à dépasser la cause qui les a fait émerger et à embrayer sur un mouvement plus institutionnel.
Que le combat fondateur soit gagné ou perdu, il devient pour eux très difficile de maintenir la mobilisation de leurs troupes et encore plus de l’élargir. On a déjà vu ce phénomène dans les années 1990, où les mouvements de sans-papiers, des sans-logement et plus largement toute la mouvance altermondialiste a nourri la critique et la méfiance des partis sans parvenir à les remplacer.

Est-ce l’envie d’actions plus concrètes qui détourne les militants des partis ?
Chez la plupart de citoyens domine effectivement le sentiment qu’il est de plus en plus difficile de renverser le cours des choses, les derniers épisodes venus de Grèce semblent encore le confirmer. Cela nourrit l’idée qu’il vaut mieux s’investir dans des actions concrètes, locales, de voisinage. Des combats de portée certes limitée, mais où l’on peut au moins nourrir l’espoir de gagner.
Hier, les militants d’extrême gauche rêvaient de la révolution mondiale pour renverser le capitalisme et bâtir un monde plus juste. Aujourd’hui, les zadistes se mobilisent afin d’empêcher la construction d’un Center Parcs. Ce n’est plus la même utopie, ni la même échelle.
À côté de cela, il existe toutefois d’autres mouvements plus larges, comme « Bleu, blanc, zèbre » d’Alexandre Jardin, qui misent sur le bouillonnement de la société civile. C’est une démarche intéressante, mais encore très limitée, qui est loin de constituer une alternative à la vie politique traditionnelle.

Ces nouveaux engagements peuvent-ils constituer une première étape, une école de formation, conduisant des militants à rejoindre ensuite la scène politique ?
Il arrive que l’engagement associatif constitue une forme de socialisation à l’action politique. On l’a vu avec la génération SOS Racisme qui s’est fortement installée au PS et dont Harlem Désir est même devenu un temps premier secrétaire.
De même, des dirigeants du syndicalisme étudiant basculent parfois dans les partis. Il est tout aussi vraisemblable qu’on retrouve prochainement un certain nombre de leaders de « La manif pour tous » dans les instances de direction des Républicains.
Il reste à voir si cette porosité peut provoquer l’émergence de nouvelles élites politiques en court-circuitant le parcours traditionnel : Sciences-Po puis l’ENA puis les cabinets ministériels. C’est loin d’être acquis, mais c’est certainement souhaitable pour régénérer les partis en y faisant entrer de nouveaux profils et surtout de nouvelles idées.