ANALYSES

Accord sur le nucléaire iranien : une opportunité historique

Presse
15 juillet 2015
Interview de Thierry Coville - Alterecoplus

Après de douze ans de négociations, un accord historique a été signé le 14 juillet à Vienne entre l’Iran et les cinq pays du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Union européenne au sujet du programme nucléaire controversé de la République islamique. Ce programme est limité et étroitement surveillé en échange de la levée des sanctions qui pèsent sur l’Iran. Quelles sont les perspectives ouvertes par cet accord sur le plan économique ? L’analyse de Thierry Coville, économiste.


Sur quoi porte l’accord signé le 14 juillet ?


Cela a été un travail important pour les Iraniens qui étaient seuls face à six interlocuteurs : France, Allemagne, Etats-Unis, Chine, Russie et l’Union européenne. Depuis novembre 2013, toutes les compétences ont été mobilisées en Iran pour une négociation dont il ne faut pas sous-estimer les difficultés techniques : Ali Akbar Salehi, directeur de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran, sur les questions techniques ; Mohammad Nahavandian, directeur de cabinet d’Hassan Rohani, dans les derniers jours, sur la question des sanctions… Si un accord a finalement été conclu, c’est que chaque partie a fait des concessions.


On ne peut pas dire qu’un camp a gagné. L’Iran a obtenu le droit de maintenir une industrie nucléaire à des fins civiles et une levée des sanctions. En échange, ce programme nucléaire est limité et un système de contrôle très strict va être mené par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) afin de s’assurer qu’il programme ne devienne pas militaire. De plus, des sanctions pourront automatiquement être mises en place par l’ONU si l’Iran ne tient pas ses engagements. Une résolution de l’ONU doit encore être votée, et l’accord doit être approuvé par le Congrès américain et le Parlement iranien. Puis, il faudra quelques mois pour que l’AIEA confirme que l’Iran a tenu ses engagements. Alors, sans doute au début 2016, la levée des sanctions sera effective…


Cela concerne-t-il toutes les sanctions économiques, et il y en a beaucoup, qui pèsent sur l’Iran ?


Peu de pays ont été aussi lourdement sanctionné que l’Iran depuis le début des années 2000 ! On peut distinguer trois grands types de sanctions. Les pluslourdes sont les sanctions financières américaines. Il s’agit de sanctions extraterritoriales qui, depuis 2008, empêchent les organisations bancaires du monde entier de faire affaire avec l’Iran, sous peine de ne plus avoir accès au marché américain. De là ont découlé beaucoup de difficultés pour l’Iran, des pénuries, notamment de médicaments…


Deuxième type de sanctions, qui ont fortement handicapé l’économie iranienne, l’embargo pétrolier européen décidé en 2012. Celui-ci s’accompagne de sanctions bancaires, avec l’exclusion de l’Iran du système électronique Swift pour les transactions européennes. Ces sanctions-là sont levées, de même de celles de l’ONU. L’Iran pourrait bénéficier d’un rapatriement d’avoirs en devises bloqués à l’étranger à cause des sanctions, on parle de près de 100 milliards de dollars.


De même, le pays qui n’exportait plus que 50 % de sa capacité d’exportation pétrolière, pourra revenir rapidement à 100 %, soit 2 millions de barils par jour, ce qui devrait accroître les recettes budgétaires du gouvernement, et lui permettre de dépenser plus notamment en matière d’infrastructures. Enfin, les entreprises iraniennes vont pouvoir effectuer des transferts financiers à l’étranger, ce qui leur permettra d’importer biens d’équipement et biens intermédiaires, et relancer la production industrielle.


Cela va-t-il accentuer la baisse du prix du pétrole ? Avec quel effet sur l’économie iranienne ?


C’est une possibilité. Il est vrai que l’économie iranienne a dû affronter un nouveau choc, outre les sanctions, avec l’effondrement du prix du pétrole en 2014, liée à la concurrence des gaz de schiste américains et de la surproduction saoudienne. Dans tous les cas, même avec un prix du pétrole faible, la croissance des exportations permettra d’augmenter quelque peu les recettes budgétaires (le pétrole représente en effet 50 % des recettes budgétaires de l’Iran).


Quelle devrait être la stratégie économique du gouvernement iranien ?


Un enjeu majeur est, pour le gouvernement, de faire en sorte que le retour des avoirs iraniens de l’étranger entraîne une relance de la production et pas simplement une augmentation des importations. L’industrie automobile est un bon exemple : elle représente 10 % du PIB iranien et il est essentiel pour ce pays de relancer la fabrication sans céder à la tentation d’importer qui est forte au sein de la population.


Un autre enjeu, essentiel, est le développement du secteur privé, clé de la diversification de l’économie pour sortir du « tout pétrole ». Pour cela, il va falloir améliorer l’environnement des affaires en limitant notamment la corruption, qui créé beaucoup de mécontentement dans la population. Celle-ci a augmenté avec les sanctions en permettant à des intermédiaires douteux de profiter de la pénurie dans beaucoup de secteurs. De même, le secteur bancaire a beaucoup souffert des sanctions et doit être recapitalisé.


Le gouvernement iranien veut également attirer l’investissement étranger pour s’en servir comme levier afin de renforcer la compétitivité de l’appareil productif national. Pour les investisseurs étrangers, de nombreuses opportunités sont donc ouvertes, dans le secteur de l’énergie (pétrole, gaz naturel…), dans l’automobile, l’agroalimentaire, l’environnement…
Un autre risque est que l’afflux de devises, avec la fin des sanctions, conduise à une accélération de l’inflation. Il est intéressant de noter que la hausse des prix, qui s’est beaucoup accélérée avec les sanctions après que le rial se soit effondré sur le marché des changes, s’est déjà ralentie avec l’élection du président modéré Rohani, passant de 45 % en 2012 à 15 % aujourd’hui. Ce ralentissement s’expliquait surtout par une hausse de la monnaie iranienne par rapport au dollar sur le marché noir, car il y avait une plus grande confiance due à la volonté de Rohani de régler la question du nucléaire par la négociation. On peut donc penser qu’avec l’accord, la monnaie iranienne va continuer de se redresser. Le retour des devises ne devrait pas entraîner de montée des prix, surtout si le gouvernement iranien adopte une politique monétaire prudente.

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