ANALYSES

Attentat en Tunisie : quel impact sur cette jeune démocratie ?

Interview
30 juin 2015
Le point de vue de Kader Abderrahim
Comment la société tunisienne a-t-elle réagi à l’attentat du vendredi 26 juin 2015 à Sousse ? Cette jeune démocratie a-t-elle été déstabilisée ?
On ne peut pas dire que la démocratie ait été déstabilisée. Je pense qu’une société qui se retrouve face à ce genre de violences est évidemment déstabilisée mais je ne pense pas que les institutions aient été touchées. Il y a eu une réaction très positive d’union autour des dirigeants et autour de cette fragile démocratie qui est en train de s’installer. D’une manière générale, les Tunisiens ont réagi de manière extrêmement hostile à ce genre d’actes. Il faut rappeler que d’un point de vue purement prosaïque, il y a 450 000 à 500 000 Tunisiens qui vivent directement ou indirectement du tourisme. Ce secteur représente 15% du PIB de la Tunisie et les ressources qui en découlent sont considérables dans un pays durement frappé par la crise et le chômage des jeunes. Par conséquent, il me semble que les terroristes sous-estiment toujours le facteur social et ils ont selon moi commis une erreur symbolique très importante. Avec ce genre d’actions, je pense que leur nombre de recrues en Tunisie va diminuer.

Le gouvernement tunisien a ordonné la fermeture de 80 mosquées à tendance salafiste. Quelle est l’ampleur de cette mouvance en Tunisie, et par extension de la mouvance djihadiste ?
Il est très difficile de mesurer aujourd’hui l’importance de cette mouvance en Tunisie, compte tenu de la guerre au sens propre et de la répression qui est menée contre les salafistes. Ils ont tendance à vivre de manière extrêmement discrète, secrète, voire clandestine parfois pour ses dirigeants qui œuvrent ainsi depuis au moins trois ans. S’il est difficile d’en estimer l’importance, il est certain que l’implantation de l’État islamique dans le pays s’est faite à travers le prisme de la crise et de la guerre civile en Lybie. Elle s’est faite par le biais de Tunisiens qui étaient soit allés combattre en Syrie et en Irak, soit passés par la Lybie et qui, une fois rentrés en Tunisie, ont été le fer de lance de l’État islamique. Il est presque impossible de donner des chiffres mais il y a bel et bien une implantation de Daech en Tunisie. Pour les autorités tunisiennes, il va être très compliqué de les déloger dans la mesure où ils vivent dans la clandestinité et ont acquis à la fois la pratique de la guerre clandestine mais également celle de la guerre psychologique. Ce sera un travail de très longue haleine et, de ce point de vue, ils vont avoir besoin d’aide et de soutien, notamment de la France.

La Tunisie semble démunie pour répondre à cette menace terroriste, et finalement très peu aidée. Comment le pays peut-il réagir ? Qu’en est-il du soutien de la France à cette jeune démocratie ?
On peut imaginer que la Tunisie a beaucoup d’alliés dans ce combat, mais en réalité, très peu d’entre eux apportent une aide concrète au pays. Lors de la visite d’État en France il y a deux mois du président Béji Caïd Essebsi, l’accueil avait été très chaleureux et la visite très sympathique, ce qui avait permis de mesurer sa proximité avec le président François Hollande. Mais en réalité, il était reparti les mains vides. La Tunisie n’a pas reçu l’aide dont elle a besoin pour la surveillance de ses frontières et pour assurer sa propre sécurité.
Elle vient de connaitre un deuxième attentat en l’espace de deux mois, et on voit aujourd’hui à quel point la France n’est pas à la hauteur à la fois du défi que représente le terrorisme pour ce pays mais également de ses responsabilités. Si la France veut continuer à être une puissance qui rayonne et une puissance diplomatique dans le monde dont la voix compte, elle doit aider la Tunisie. C’est un impératif stratégique indispensable. En plus d’être notre voisin, l’État tunisien est un allié très ancien. Les raisons pour lesquelles la Tunisie ne reçoit pas l’aide dont elle a besoin sont une énigme pour beaucoup de chercheurs qu’il va bien falloir à un moment ou un autre résoudre. Mais l’explication devra aussi et surtout venir de nos dirigeants politiques.
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