ANALYSES

A Bruxelles, les rituels diplomatiques entre Latino-américains et Européens

Presse
17 juin 2015
INTERNATIONAL – Européens et Latino-Américains ont tenu congrès les 10 et 11 juin 2015 à Bruxelles. Pour être plus précis Union européenne et Communauté des Etats Latino-américains et de la Caraïbe (CELAC) se sont assis autour d’une même table comme le prescrit le protocole de ces grands messes dont la société internationale a le secret. C’était la huitième fois depuis le coup de sifflet initial de 1999 à Rio de Janeiro.

Les attentes étaient modestes. Il n’y a donc pas eu déception. Aucun media le 9 juin n’avait annoncé une rencontre « historique », comme cela est d’usage. Effectivement la rencontre relevait de la plus authentique banalité diplomatique.

Les Européens étaient au complet, avec leurs présidents et leurs premiers ministres. En revanche, signe des temps, côté latino-américain et caribéen, treize délégations, -l’Argentine, Beliz ; Cuba ; Grenade; le Guatemala; le Guyana; le Nicaragua; la République Dominicaine; le Salvador; le Surinam; Trinidad et Tobago; l’Uruguay; le Venezuela-, avaient délégué un vice-président, un ministre, voire un ambassadeur. Antigua et Barbuda a séché la réunion. Les Espagnols et leurs sommets ibéro-américains avaient souffert en décembre 2014 les mêmes désaffections. L’Europe, fût-elle espagnole, ne fait plus recette, dans les Amériques. Les commentateurs de certains journaux s’en sont émus. « L’Europe » pouvait-on lire dans le quotidien suisse, Le Temps, serait-elle en train « de perdre son influence? »

Les partenaires sans doute avaient quelques sujets en partage. Ils ont effectivement disserté climat, commerce et développement. Ils ont annoncé quelques programmes permettant de mieux combattre la rouille du café et les sous-équipements sanitaires en zones périurbaines. Ils ont fait le constat partagé d’évènements positifs, le dialogue entre la Colombie et les FARC, la normalisation des relations Etats-Unis et Cuba. Ils les ont donc a posteriori adoubés de concert. Dans la foulée les Européens ont confirmé leur intention d’accompagner ces évolutions. Ils vont donc eux aussi mettre les bouchées doubles pour normaliser la coopération européenne avec Cuba soumise à des conditionnements politiques depuis 1996. Ils ont rappelé leur attente d’une levée de l’embargo unilatéral imposé depuis 1962 par les Etats-Unis. Et ils ont annoncé la création d’un fonds destiné à soutenir le processus de paix en Colombie.

Rien de plus, mais c’est sans doute déjà beaucoup compte tenu des circonstances. Dans le domaine fondateur de l’identité européenne, les échanges et le commerce, rien de bien novateur sinon la confirmation de ce que l’on savait par ailleurs. Aucun accord nouveau n’a été signalé. Aucun n’a par ailleurs été signé. La négociation d’un accord entre la Communauté européenne et le Mercosur poursuivra le train de sénateur qui est le sien depuis 1995. Le Brésil était un peu plus allant qu’à l’habitude. Mais Argentins et Uruguayens ne sont manifestement pas pressés d’aboutir, pas plus d’ailleurs que la France ou la Pologne. Les conversations engagées avec l’Equateur ont été confirmées consolidant l’abandon un temps privilégié de partenariats de bloc commercial à bloc commercial.

Les questions de politique internationale ont été prudemment esquivées. Bruxelles a suivi Washington dans l’ajustement de sa relation avec Cuba. Bruxelles a bien essayé de faire les gros yeux à Caracas, comme a tenté de le faire Washington en mars dernier. Mais Barak Obama a mis depuis la pédale douce à sa tentative de trouver un nouveau bouc émissaire au sud du Rio Grande. Les parlementaires européens rencontraient leurs homologues latino-américains les 5 et 6 juin, quelques jours donc avant les gouvernements. Ils avaient lancé un ballon d’essai. Ils souhaitaient montrer du doigt les manquements aux libertés et à la démocratie du gouvernement vénézuélien. Les Latino-Américains ont collectivement dit non. A Washington comme à Bruxelles les Latino-américains ont signalé que le temps des remontrances était passé. Mieux, ou pire, c’est selon, sous la baguette de leur président, l’équatorien Rafael Correa, ils ont imposé aux européens de prendre note dans le communiqué final du sommet les communiqués de solidarité avec le Venezuela adoptés par la CELAC les 29 janvier et 26 mars.
C’est peut-être cela qu’a mis en évidence cette rencontre. Plusieurs pages du livre du monde ont été tournées ces dernières années. Les Européens ont connu des déboires économiques. La fin de la guerre froide leur a ouvert de nouveaux horizons à l’est, qui les ont paradoxalement renvoyés à eux-mêmes et à de nouveaux paradoxes, économiques, monétaires, et nationaux. L’Amérique latine s’est au même moment émancipée. La fin de la guerre froide lui a donné les moyens de sa liberté. Dans l’économie, dans la politique, dans la diplomatie. Même si la conjoncture aujourd’hui est plus incertaine, la croissance reste la règle. Et la dérive militaro-diplomatique des Etats-Unis et des Européens vers le Moyen-Orient et l’Afrique, leur a laissé le temps et la possibilité de mutualiser leurs souverainetés. Non intégrés ils ont inventé des institutions d’intérêt partagé. La CELAC est l’une d’entre elles. Il y en a d’autres, l’UNASUR, l’ALBA, l’Alliance du Pacifique. Elles leur ont permis une nouvelle assurance internationale. Celle de pouvoir enfin après cinq siècles de colonisation et de périphérie avoir la possibilité de régler leurs affaires en famille.

Pour le reste, la sauterie bruxelloise a donné aux uns et aux autres, l’opportunité de faire ses courses particulières. France, Allemagne en ont profité pour reprendre un travail de Pénélope, la réduction de la crise grecque. Colombie et Pérou ont obtenu un traitement de faveur avec les pays du groupe Schengen, un accès sans visa pour leurs nationaux. La présidente argentine qui pourtant était à Rome a laissé son représentant ministériel monter au créneau pour rappeler le contentieux territorial des Malouines aux Européens et aux Anglais. Les présidents du Costa-Rica, et du Chili, Luis Guillermo Solis et Michelle Bachelet ont fait étape à Paris. Le chef d’Etat du Paraguay, Horacio Cartes a été reçu par Madrid. Evo Morales a joué au football, signé des accords bilatéraux avec l’Estonie et la France, visité le port de Gand, histoire de rappeler au Chili sa revendication d’un accès à la mer. Le mexicain Enrique Peña Nieto a fait un crochet à Berlin. Il y a mis en place avec Angela Merkel une commission mixte. Cette commission aura cinq groupes de travail, couvrant l’économie, la culture, les affaires politiques, le développement durable et la défense de l’environnement. Le ministre des affaires étrangères du Salvador a fait une mini-tournée européenne. Tous sont allés saluer le Roi Philippe et la princesse Mathilde de Belgique.

L’Amérique latine est aujourd’hui plus extrême que d’occident. Et les différents pays qui la composent cassent avec conscience tout ce qui de près ou de loin les replacerait dans un tête à tête inégal avec un poids lourd, nord-américain ou européen. Ils privilégient les jeux les plus ouverts, les mises en concurrence entre Européens, et avec d’autres, africains ou asiatiques. Le défilé des visiteurs venus taper aux portes du nouveau monde latino-américain depuis quelques mois est de ce point de vue révélateur des changements internationaux. Vladimir Poutine, Recip Erdogan, Xi-Jinping, Barak Obama, François Hollande.

L’Europe était en 2014 le deuxième partenaire commercial des Latino-américains, derrière les Etats-Unis, au coude à coude avec la Chine. Mais les acteurs européens à la différence de ceux des Etats-Unis et de la Chine relèvent-ils d’initiatives et de de bénéfices communs? 28% des échanges européens sont d’origine allemande, 13% espagnol ; 12% italiens; 11% français, 9% hollandais. On peut effectivement ajouter les uns aux autres. Il n’est pas sûr que cette arithmétique fasse sens.
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