ANALYSES

« Le blé fait grandir la taille de la France sur un planisphère »

Presse
18 juin 2015
Interview de Sébastien Abis - Les Echos
Le pays compte parmi les grands greniers à grains du monde depuis les années 1970. Son blé peut être un instrument de choc pour sa diplomatie économique, estime l’auteur de « Géopolitique du blé », à paraître le 1er juillet chez Armand Colin.

Avec le blé, quel pouvoir a la France, premier producteur européen et troisième exportateur mondial ?

Le blé, c’est le pétrole doré de la France ! Elle exporte un produit vital et elle est présente structurellement sur le marché mondial. Jusque dans les années 1950, elle importait du blé. Aujourd’hui, non seulement elle satisfait à ses propres besoins, mais elle exporte. Il faut prendre conscience que le « club » des pays producteurs et exportateurs de blé est particulièrement restreint : ils sont bien moins de vingt, alors que les pays dépendants des marchés internationaux sont très nombreux. Le blé fait grandir la taille de la France sur un planisphère, il est un excellent ambassadeur. Cela peut lui permettre de rester influente, dans un secteur où elle est attendue. Or ce produit consommé quotidiennement est parfois oublié de l’analyse stratégique dans le pays et dans la diplomatie économique.

Comment expliquez-vous cet oubli ?

La France a des tabous que les autres grands producteurs n’ont pas. On ne parle pas suffisamment de la France agricole qui marche, qui exporte, alors que depuis trente à quarante ans, le blé français réalise des performances commerciales. Il faut revaloriser ce secteur, le décloisonner. Cela signifie aussi sortir des cercles habituels. Actuellement, dans la diplomatie économique, l’agriculture et ses filières n’a pas une place suffisante. Il y a une aberration à vendre le kit made in France en mettant en avant le Rafale, le TGV, et pas un grain de blé. Puisqu’on fait appel aux forces vives de la nation, il y a un reclassement stratégique à faire des questions agricoles, par le Quai d’Orsay aussi !

La place de la France dans le marché mondial du blé est-elle menacée ?

Dans les pays arabes – l’Algérie et le Maroc sont nos premiers clients -, on s’inquiète que la France puisse un jour arrêter d’exporter. En outre, la concurrence continue à s’aiguiser : les pays de la mer Noire et les Etats-Unis vendent de plus en plus au bassin méditerranéen. Mais les exigences changent chez les acheteurs, leur cahier des charges évolue et il faut adapter la production française. Il ne faut surtout pas s’endormir. Je suis frappé de voir qu’il reste si difficile en France de parler de l’agriculture, hormis sous le prisme de l’environnement. Or, ce n’est pas l’unique pilier de la politique agricole. Le développement durable doit s’appuyer sur les piliers social et économique.