ANALYSES

Participation de Omar el-Béchir au Sommet de l’UA en Afrique du Sud : le dilemme entre le droit et la realpolitik

Tribune
16 juin 2015
Le président du Soudan, Omar el-Béchir, a quitté lundi 15 juin l’Afrique du Sud vers le Soudan, ignorant une décision de la Haute Cour de Pretoria ordonnant son arrestation à la demande de la Cour pénale internationale (CPI). La demande d’arrestation formulée par la CPI à l’encontre du président du Soudan avait également été présentée aux autorités sud-africaines le 26 mai 2015. Celles-ci avaient néanmoins choisi d’inviter Omar el-Béchir et avaient publié un décret garantissant l’immunité des chefs d’État présents au vingt-cinquième sommet de l’Union africaine (UA).

Rappelons que le président du Soudan est poursuivi par la CPI pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité en 2009 et génocide en 2010 au Darfour ayant conduit à plus de 300 000 morts. Jusqu’à présent, il ne s’était déplacé que dans les pays africains non membres de la CPI ou ne respectant pas ses décisions. Lors de la Coupe du monde de football de 2010 en Afrique du Sud, il ne s’était pas déplacé, craignant d’être arrêté. Ce déplacement et cette invitation cherchent à narguer la CPI et à montrer la solidarité des chefs d’État africains entre eux. L’invitation d’Omar el-Béchir en Afrique du Sud, à l’occasion de la réunion de l’Union africaine définie souvent comme un syndicat de chefs d’État africains, a été émise par le gouvernement sud-africain pour signifier notamment son attachement à l’UA, sa défiance vis-à-vis de la CPI et affirmer sa position d’une Afrique aux Africains.

Cet imbroglio juridique, diplomatique et géopolitique est révélateur du dilemme entre le droit et la realpolitik, tant sur le plan interne à l’Afrique du Sud que sur les relations entre la justice internationale et les autorités politiques africaines.

Sur le plan juridique, la condamnation pour crimes de guerre, contre l’humanité ou génocide suppose de la part des États membres une coopération. La CPI, créée en 1998 et opérationnelle depuis 2002, comprend 123 États (sur 193 membres des Nations unies) et 33 États africains sur 54. Elle n’a pas les moyens d’arrêter ceux qui ont été condamnés et son action suppose une coopération de la part des États membres. Le décret pris par le gouvernement sud-africain d’accorder une immunité au président du Soudan n’est pas juridiquement valable. Aux yeux de la CPI, ce déplacement nargue la justice internationale. Les crimes contre l’humanité et les génocides sont imprescriptibles et la CPI est une instance juridictionnelle internationale dont les décisions l’emportent sur les droits nationaux. L’Afrique du Sud est un État de droit caractérisé par l’indépendance de la justice, le respect de la Constitution et le respect de ses engagements auprès de la justice internationale – en tant que signataire du Traité de Rome ayant institué la CPI -, l’importance de la société civile, malgré certaines dérives depuis l’arrivée au pouvoir de Jacob Zuma.

Sur le plan politique, le Congrès national africain (ANC) – parti dominant au pouvoir – ainsi que les autorités politiques, à commencer par le président Jacob Zuma, veulent montrer leur indépendance vis-à-vis de la CPI, affirmer leur appartenance à l’Union africaine et leur solidarité avec les autres responsables africains. De nombreux chefs d’État ne reconnaissent pas en effet la légitimité de la CPI considérant qu’elle condamne prioritairement des Africains. Le président en exercice de l’UA, Robert Mugabe, a sur ce point une position très ferme. Jusqu’à présent, la CPI n’a pas condamné de présidents en exercice. C’est l’Afrique du Sud et l’Union africaine qui avaient invité Omar el-Béchir et c’est le gouvernement sud-africain qui voulait assurer l’immunité des chefs d’État.

Les enjeux géopolitiques sont également importants. Bien que les puissances occidentales soient hostiles à Omar el-Béchir et que les États-Unis (qui n’ont pas adhéré à la CPI) aient appuyé fortement l’indépendance du Soudan du Sud – jeune pays aujourd’hui en guerre – Omar el-Béchir, âgé de 71 ans, vient d’être réélu chef d’État avec plus de 94% des voix. Il est, malgré les dérives et le maintien du conflit au Darfour, plutôt un élément de stabilisation dans une région touchée par le maintien du conflit au Darfour, les affrontements avec le Soudan du Sud et les risques de montée de mouvements djihadistes. Certaines puissances voient en lui, aujourd’hui, un moindre mal.

Omar el-Béchir a quitté l’Afrique du Sud, allant à l’encontre du droit national et international. La realpolitik l’emporte donc sur le droit. Ce déni de justice a un double impact : il détériore l’image de la nation arc-en-ciel mais aussi celle de la CPI.
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