ANALYSES

C’est une première pour un président français : pourquoi Hollande se rend à Cuba

Presse
10 mai 2015
Sans le rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis, cette visite aurait-elle eu lieu ?
C’est une bonne question, mais il faut replacer cette visite dans son contexte. Ce passage à Cuba s’intègre dans un voyage aux Antilles françaises et dans les Caraïbes (ndlr : après Cuba, le chef de l’Etat ira à Haïti) où François Hollande a abordé la question de la traite négrière etpréparé avec les pays de la région la conférence sur le climat qui aura lieu en décembre à Paris.

Certes, mais rien n’imposait spécifiquement de passer par Cuba.
Tout à fait. Il s’agit probablement d’une opportunité proposée par l’entourage de François Hollande pour symboliser sa « diplomatie économique ». Opportunité qui se combinait très bien avec son agenda politique personnel, la préparation de Cop21 et surtout sa volonté d’encourager ce qui se passe entre les Etats-Unis et Cuba afin de lui donner une dimension européenne.

C’est-à-dire ?
L’Union européenne a un temps de retard dans sa politique de normalisation de ses relations avec Cuba par rapport aux Etats-Unis. Au milieu des années 90, elle avait suivi le durcissement de l’embargo décidé par Washington. Depuis le 17 décembre dernier et l’annonce du dégel par Barack Obama et Raul Castro, elle est obligée de suivre le mouvement. Mais, comme sur chaque sujet de politique étrangère, il est très compliqué de faire converger les 28. En raison des droits de l’homme, les pays nordiques sont réticents à une normalisation, tout comme les anciens pays communistes d’Europe de l’Est. En revanche, la France, l’Italie ou l’Allemagne sont en phase avec la position américaine.

Comment qualifier les relations entre la France et Cuba depuis l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro 1959 ?
Sur le plan strictement bilatéral, elles n’ont jamais rien eu de particulier et n’ont jamais été suspendues. N’oublions pas par exemple que Fidel Castro a été reçu par François Mitterrand à Paris en 1995. Plus récemment, Nicolas Sarkozy avait nommé Jack Lang comme son représentant spécial à Cuba et les visites ministérielles se sont multipliées. Sur le plan économique, de nombreuses entreprises françaises sont aussi déjà présentes à Cuba et beaucoup de touristes s’y rendent.
Bref, il n’y a rien de bien original là-dedans puisque c’est le cas de nombreux pays à l’exception des Etats-Unis. Cette visite de François Hollande ne fait ainsi que conforter ce qui existe déjà. Mais elle est évidemment importante puisque c’est la première d’un président français en exercice dans le pays. Elle a donc une portée symbolique liée à ce qui se passe entre les Etats-Unis et Cuba et avec les autres pays de l’UE.

Accompagné de nombreux dirigeants français, François Hollande semble vouloir, sur le plan économique, placer ses pions pour profiter de la future levée de l’embargo.
Comme nous venons de le voir, la France est déjà bien présente à Cuba. Accorgère des complexes touristiques, Pernod-Ricard exporte le rhum cubain, Alcatel ou Total ont chacun des intérêts dans leur secteur et l’industrie automobile française possède des contrats avec le gouvernement. Sur le plan purement économique, il s’agit donc moins de profiter de cette future levée de l’embargo et de donner une impulsion que de préserver les acquis français.
Le jour où l’embargo sera levé -ce qui prendra encore du temps-, une déferlante américaine va évidemment arriver sur l’île, située à moins de 200 km des côtes de Floride. Pour toutes les entreprises étrangères déjà installées à Cuba, la concurrence sera rude et agressive. Autant se préparer dès maintenant.
En outre, à moyen-terme, grâce à l’élargissement du canal de Panama, Cuba, en face du Mexique, des Etats-Unis, de la Colombie et du canal, bénéficiera d’une position géographique stratégique pour le commerce maritime. Les Brésiliens se sont déjà placés sur ce créneau en construisant un port de porte-conteneurs près de La Havane.

Comme on a encore pu le voir au début de la semaine avec le voyage de François Hollande dans les monarchies sunnites du Golfe, la diplomatie économique ne se marie pas forcément bien avec les droits de l’homme. Que peut-on attendre à Cuba ? Les droits de l’homme sont en effet toujours un dossier délicat à manier. Une chose est sûre : après que Barack Obama a admis que demander la fin du régime communiste ne sert à rien, sinon à le renforcer, la France ne le fera pas. Mais il est possible qu’elle aborde des cas particuliers, de manière discrète.

Une rencontre Hollande-Fidel Castro est-elle possible ?
Quand une personnalité étrangère vient à Cuba, une rencontre avec Fidel Castro est un passage obligé, qu’elle le veuille ou non. Cette rencontre dépend aujourd’hui uniquement de la santé de Castro. Si elle a lieu, elle intéressera bien sûr la presse. Mais ce n’est pas l’essentiel du voyage, loin de là.
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