ANALYSES

Hollande en Caraïbe : un retour de la guerre de course ?

Grandes et Petites Antilles sont terres de tourisme. Et peut-être un peu plus. Depuis quelques semaines en effet, les avions officiels côtoient sur les aéroports les vols nolisés par les agences de voyages. Erdogan, le Turc, Hollande, le Français, Obama, le Nord-américain, Poutine, le Russe, Rajoy l’Espagnol, et en septembre prochain, le pape François ont dans le désordre posé ou vont faire stationner leurs aéronefs dans la région. Mais leur venue n’a rien à voir avec le triptyque des vacanciers, « rhum, cigares et soleil ». Assisterait-on alors à une reprise actualisée de la guerre de course des temps passés ?

Dès le XVIIe siècle, les Caraïbes ont été au cœur de contestations impériales. Anglais, Danois, Français, Hollandais, Suédois, ont contesté la domination espagnole. Ces puissances montantes ont grignoté avec succès le domaine insulaire des Habsbourg. Corsaires, pirates, marins officiels de ces différents royaumes ont alors écumé le Golfe du Mexique. A coups de sabre et de canon, ils ont fabriqué une nouvelle carte politique de la Méditerranée américaine.

Erdogan, Hollande, Obama, François et Poutine, n’ont rien de commun avec Henry Morgan, et François l’Olonnais. Ils ont délaissé le bateau pour l’avion et le pistolet pour l’appareil de photo. Leurs visites croisées et parallèles sont rythmées par le seul bruit des médias. Ces va-et-vient d’aujourd’hui rappellent pourtant ceux d’hier. Une sorte de course au trésor commune rapproche à trois siècles de distance ces visiteurs des Antilles. Mais que peuvent-ils donc chercher dans ces îles souvent minuscules, et pour les plus grandes de superficie modeste?

Sans doute ce qui fait courir le monde, depuis que le monde est monde, selon les enseignements de la sagesse populaire. De l’argent et du pouvoir. Hier de l’or, des produits tropicaux, et un accès facile à la terre ferme, les Amériques, centrale, du nord et du sud, garantis par un chapelet de forteresses construites au plus haut des îles. Aujourd’hui de l’influence, ces pays ayant pour la plupart un siège et une voix aux Nations Unies, et une place maritime stratégique au cœur du continent américain.

Le Turc Erdogan a ciblé en février 2015 Cuba, située au centre du dispositif caribéen et deux pays riverains, la Colombie et le Mexique. La Turquie en plein essor économique, cherche à bonifier diplomatiquement cet acquis. Face à ces trois pays il y a Panama, et son canal en voie de modernisation. Et à Port Mariel, à deux pas de La Havane, il y a un port en eaux profondes et une zone franche, construits avec des capitaux brésiliens. La Colombie et le Mexique sont économiquement liés aux Etats-Unis. La Havane et Washington négocient en ce moment la normalisation de leurs relations. Que cela plaise ou déplaise aux Etats-Unis et aux alliés de l’OTAN le chef de l’Etat turc, a profité de la circonstance pour signaler que c’était le bon chemin: « car les sanctions, a-t-il déclaré, ne sont pas de notre point de vue une bonne chose ».

Hollande, le Français, est chez lui aux Antilles. Il entendait le faire savoir et valoriser la plate-forme des DFA (départements français des Amériques). Diplomatie climatique et diplomatie économique ont été sollicitées. Le 10 mai 2015, il a inauguré en Guadeloupe un centre de la mémoire, rappelant le fléau moral imposé par l’Europe à toute la Caraïbe, la traite négrière. Il a réuni en Martinique, le 9 mai 2015, l’ensemble des territoires de la région pour les mobiliser sur les objectifs de la conférence climatique organisée à Paris en fin d’année. Le 11, il effectue une visite officielle à Cuba, la première jamais réalisée par un président français. Le 12 mai, il sera à Haïti, seul état francophone des Grandes Antilles. Façon de rappeler avant la déferlante attendue des Etats-Unis que la France a des intérêts à Cuba et qu’elle entend les préserver. Façon aussi de faire bouger Bruxelles, arc-bouté à la suite de l’Espagne et des anciens satellites de l’URSS sur une coopération conditionnelle avec Cuba, désormais abandonnée par les Etats-Unis.

Obama en effet a surpris son monde le 17 décembre 2014. Ce jour-là, il a en effet annoncé l’ouverture de négociations destinées à normaliser les relations diplomatiques avec Cuba. Le 11 avril 2015, à Panama, à l’occasion du 7e sommet des Amériques, il a devant une forêt de caméras ostensiblement serré les mains de son homologue cubain, Raúl Castro. Les conversations sont complexes. La majorité républicaine s’oppose dans les Chambres à cette normalisation. Mais a déclaré le président soucieux de justifier son prix Nobel de la paix, et sans doute un tantinet agacé par ses opposants, il est temps de tourner la page. La guerre froide est finie. Cuba ne menace pas ou plus la sécurité des Etats-Unis. L’embargo unilatéral paradoxalement isole les Etats-Unis et de moins en moins Cuba, totalement intégré dans la société internationale. Pour bien profiter des difficultés du Venezuela, contraint par la crise de réduire son soutien aux pays de la Caraïbe, Washington doit impérativement revenir dans la course en rétablissant ses relations avec La Havane. Le 10 avril 2015, en Jamaïque, Obama a posé un premier jalon en faisant une offre de sécurité énergétique aux pays de la région désormais privés du pétrole venu de Caracas.

Rajoy l’Espagnol aimerait bien participer à la fête. L’Espagne après tout n’est-elle pas la mère patrie de la plupart de ces Etats? Mais l’Espagne n’a plus de points d’attache territoriaux, comme la France. Elle vit des moments économiques difficiles depuis 2008, qui ont réduit la voilure de son influence. Elle souffre enfin d’une idéologisation de sa diplomatie qui l’a éloigné de Cuba comme du Venezuela. En dépit de démarches répétées, les présidents de Cuba et du Venezuela ont parmi d’autres boudé le sommet ibéro-américain qui s’est tenu à Veracruz (Mexique) les 8 et 9 décembre 2014. Raúl Castro a en revanche mis les petits plats dans les grands pour recevoir l’ex-premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, le 25 février 2015.
Poutine le Russe en quête de pontages diplomatiques, économiques, et commerciaux, a retrouvé le chemin de Cuba et de ses voisins. Les logiques de la guerre froide remises sur rail par la crise ukrainienne ont repris du service. Le président russe a visité La Havane en juillet 2014. Il a reçu le 9 mai 2015, Raúl Castro, le président cubain. D’autres visites et d’autres accords, avec le Nicaragua, le Venezuela, ont matérialisé ce retour de la Russie dans l’étranger proche des Etats-Unis.

Le Pape François enfin est attendu à Cuba en septembre 2015. Il doit aussi visiter les Etats-Unis et d’autres pays de la région. La réconciliation en cours de Cuba avec les Etats-Unis doit en effet beaucoup à la diplomatie vaticane. Non seulement à celle de François, mais aussi à celles de Jean-Paul II et de Benoit XVI qui tous deux ont travaillé au corps et peut-être à l’âme les autorités cubaines. Bousculée par beaucoup de contentieux mettant en cause l’éthique de ses prêtres, l’Eglise catholique a retrouvé là une légitimité morale. Elle a par la même occasion élargi l’espace d’autonomie du clergé cubain.

Il y a trois siècles, les Européens se disputaient la Caraïbe à coups de canon. La page de la guerre de course est tournée depuis longtemps. Mais les Européens, les Nord-Américains, les Turcs et bien d’autres, gardent un œil vigilant sur des iles géographiquement si bien situées. Les visites se sont multipliées depuis quelques mois. Les uns et les autres à défaut de guerre de course, placent des pions diplomatiques comme économiques, et font.. leurs courses.
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