ANALYSES

Accusations de viols en Centrafrique : « Il y a régulièrement des cas d’abus individuels

Presse
30 avril 2015
L’enquête conduite par le parquet de Paris sur de possibles abus sexuels sur des enfants commis par des soldats en Centrafrique, dans laquelle 14 militaires français sont mis en cause, est-elle révélatrice d’abus réguliers? Quand des soldats, français ou autres, veillent sur les populations de pays en crise, peuvent-ils profiter de la situation pour abuser des civils? Directeur de recherche à l’Iris et ancien haut gradé de l’armée de l’air, Jean-Vincent Brisset apporte son éclairage à 20 Minutes.

Avérés ou non, que des militaires commettent de tels abus, est-ce déjà arrivé ?
Il y a régulièrement des cas d’abus, individuels à chaque fois à ma connaissance –en tout cas pas de système d’abus organisé, en réseau. Dans des circonstances très difficiles comme en Centrafrique à ce moment-là, des gens peuvent péter un plomb. On en parle parce que les militaires, occidentaux en particulier, s’auto-inspectent et ne cachent pas ces dérives. Il y a des sanctions en interne, et la hiérarchie militaire le fait savoir. Mais des travailleurs d’ONG compromis individuellement, il y en a tout autant.

De quels comportements parle-t-on ?
Les dérives qui peuvent exister, c’est donner plus de confort, au sens très large – soins, vêtements, abris – en échange de faveurs sexuelles. Militaires et autres apportent du secours, de l’eau, de la nourriture, il y en a malheureusement qui sont tentés de monnayer cette aide; on est dans le classique de l’âme humaine. Ça existe depuis toujours, quand un pays est en train de tomber en ruines, les gens les plus à l’aise en profitent – c’est l’éternel rapport entre le «fort» et le «faible».

Quels sont les garde-fous ?
Les armées françaises sont toujours accompagnées, en opération, de gendarmes, les prévôts, ce qui fait qu’il y a moins de risques de dérives, tout simplement grâce à la peur du gendarme. D’autres pays sont moins regardants sur leurs ressortissants. Je viens de l’armée de l’air, en opération on a toujours des gendarmes autour de nous. Même si quelqu’un était tenté d’abuser de sa position, il ne pourrait pas le dissimuler – on ne peut rien leur cacher, ils font très bien leur travail.

A-t-il pu y avoir, dans ce cas ou dans d’autres, volonté de dissimuler l’affaire au public?
Non, l’enquête de la justice française est en cours, il est normal qu’il n’y ait pas de communication. C’est le fonctionnement normal de la justice. En tout cas ce type d’affaire est toujours pris au sérieux, parce que pour les militaires ce n’est pas acceptable. Notamment depuis le Rwanda, où ils avaient été accusés des pires travers, il y a une volonté de renforcer la légalité chez les militaires.

Quelle est la réaction des populations quand de tels abus sont subis et révélés ?
Si c’était un système organisé il n’y a pas beaucoup de moyens de réagir sur le moment. Si c’est un acte isolé, il faut trouver quelqu’un d’honnête et dénoncer les agissements. Manifestement, l’affaire qui nous occupe n’est pas sortie ni sur place, ni en France. Or plusieurs milliers de militaires français sont allés en Centrafrique et en sont revenus, et aucun n’a parlé de tels agissements. Si ça avait été quelque chose d’organisé, il y aurait eu des retours. Je ne pense pas que cette affaire, si elle est avérée, mette en jeu beaucoup de monde, sinon on en aurait entendu parler rapidement.
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