ANALYSES

Exécutions en Indonésie : comment expliquer l’intransigeance de Joko Widodo ?

Interview
30 avril 2015
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Joko Widodo, président de l’Indonésie élu en juillet 2014, souhaite porter un message de modernité et d’espoir pour son pays. Quel est son parcours politique ? Quels sont les engagements pris lors de sa campagne présidentielle ?
Il faut avoir en tête que lors de son élection en juillet 2014, Jokowi opère une véritable rupture dans la trajectoire de l’Indonésie depuis sa démocratisation au début des années 2000. En effet, il est le premier président indonésien qui n’est pas issu de l’establishment. Il n’a, dans ses origines familiales et surtout sociales, aucun lien avec les anciens présidents, ni avec les représentants de la classe politique indonésienne. C’est en quelque sorte un intrus, un personnage nouveau dans le paysage politique indonésien. C’est d’ailleurs ce qui rend son élection si spectaculaire, voire historique.
Jokowi est issu d’un milieu très modeste et a un parcours politique assez impressionnant. Il a d’abord été Maire de la ville de Solo, grande ville du centre de Java, où il avait été dans les années 2000 réélu à plus de 85% dans le cadre d’une élection parfaitement démocratique. Ce score traduisait donc déjà sa grande popularité au vu des actions qu’il avait menées durant son premier mandat. Solo est également la ville à Java où se trouvent des foyers d’islamisme radical. La force de Jokowi à l’époque a été de parvenir à s’imposer dans cette ville avec un discours allant totalement à l’encontre de ces milieux très conservateurs, voire radicaux. Il avait réussi à se faire accepter, y compris par ces groupes. Cela traduit le caractère très consensuel de Jokowi, doté d’un grand sens de la négociation.
Ce succès, dans la ville de Solo, l’a poussé à devenir candidat au poste de gouverneur de Jakarta où, là encore, il a fait un travail très apprécié par la population de la capitale. Détail intéressant, quand Jokowi était candidat à ce poste dans la plus grande ville d’Indonésie – ville à très forte majorité musulmane – il avait choisi comme colistier un chrétien. Malgré cela, il avait réussi à gagner l’élection et n’a jamais pâti de cette stratégie. Son bilan en tant que gouverneur a par ailleurs été marqué par de très grandes avancées sociales, notamment un projet de métro à Jakarta pour désengorger la ville ou encore par des projets d’assainissement de quartiers extrêmement pauvres. Il a donc un parcours politique quasiment exemplaire et a réussi à gagner une popularité extrême auprès des classes les plus défavorisées. C’est sur cela qu’il s’est appuyé dans le cadre de son programme présidentiel l’an dernier.
Ce programme est essentiellement à dimension sociale. On peut dire que son souhait est de reproduire à échelle nationale, ce qu’il a réussi à faire au niveau de la plus grande agglomération indonésienne. D’un autre côté, c’est également un personnage très pragmatique. Il a su associer les différentes forces politiques du pays pour assurer son ascension au pouvoir. Il s’est notamment appuyé sur Jusuf Kalla, son colistier à l’époque et aujourd’hui son vice-président, issu de l’autre grande force politique du pays. Autrefois adversaire politique, originaire d’une autre région de l’archipel, il est également très apprécié et plutôt introduit dans les milieux financiers. Cette alliance a permis à Jokowi d’assurer une sorte d’équilibre politique ; stratégie intéressante et plutôt bienvenue de sa part pour éviter d’être montré du doigt comme un candidat trop socialiste ou trop réformateur.
Il est évidemment trop tôt pour dresser un bilan de sa présidence puisque sa prise de fonction n’a eu lieu qu’à l’automne. Il a néanmoins fait l’objet d’un certain nombre de critiques, à la fois des milieux plutôt conservateurs qui craignent qu’il engage des réformes trop poussées mais également de ceux qui attendaient des résultats très rapides, notamment au niveau social. Ces résultats ne peuvent bien sûr pas encore être constatés après seulement six mois de présidence. Nous ne sommes qu’au début de son mandat et cela doit être pris en considération, notamment dans les positionnements qu’il peut avoir sur des questions internationales.

De nombreux ressortissants indonésiens et étrangers sont aujourd’hui condamnés à mort ou ont déjà été exécutés dans des affaires de drogue. Le président indonésien refuse tout dialogue et ne souhaite faire preuve d’aucune clémence. Comment expliquer cette position de fermeté ?
Dans un premier temps, il faut avoir à l’esprit que même si nous portons un regard différent sur la condamnation et sur la peine qui devrait être encourue par ces personnes, leurs condamnations ont été rendues par la justice indonésienne. Ce n’est pas le président indonésien qui prend, de manière unilatérale, la décision d’exécuter des ressortissants étrangers. La justice indonésienne statue en vertu de lois, même si ces dernières sont très fermes et apparaissent peut-être comme trop fermes à nos yeux. Il est important de garder à l’esprit que l’Indonésie n’est pas un État de non-droit, qui aurait décidé d’exécuter des dissidents ou des ressortissants étrangers pour des raisons obscures. Ce serait une erreur de comparer ce cas de figure avec des régimes dictatoriaux ou autoritaires. Il existe bien sûr des doutes sur le déroulement de l’enquête et du procès, et je n’ai aucune certitude sur le fait que M. Atlaoui soit ou non coupable des faits qui lui sont reprochés.
Le président indonésien arrive donc en dernier recours sur cette question, même s’il a effectivement le pouvoir d’accorder une forme de grâce présidentielle, et par conséquent d’éviter une exécution. En l’occurrence, la question ne porte pas sur la légalité du jugement, mais sur la position à proprement parlé de Jokowi. Cette attitude de fermeté s’explique en premier lieu par le fait qu’il est à la tête des institutions et du système judiciaire de son pays. Il peut donc difficilement se mettre à dos la justice indonésienne en décidant, pour des raisons discutables, d’accorder la clémence au simple prétexte que les personnes condamnées soient étrangères.
Ensuite, il n’est arrivé que récemment au pouvoir. Il ne peut pas se permettre de faire preuve d’un manque de fermeté sur une question qui est prise très au sérieux par les Indonésiens. Les trafics de drogue font l’objet d’une juridiction extrêmement stricte mais aussi d’une attention tout à fait particulière de la population, qui s‘inquiète de ce fléau. Jokowi est donc pris entre des pressions à l’extérieur et la réalité de son pays qui ne va pas nécessairement l’inciter à prendre des mesures de clémence.
Enfin – chose tout à fait importante – Jokowi défend un programme social pour l’Indonésie. Il arrive aussi, et peut-être surtout, avec une volonté de redonner une forme de dignité au pays dans sa relation avec les grandes puissances. Pour mémoire, il faut se rappeler que le prédécesseur de Jokowi avait fait voter une loi sur l’exploitation minière de l’Indonésie. Cette loi avait vocation à limiter les intrusions étrangères dans l’exploitation des sols indonésiens. Elle avait finalement été levée à la suite de pressions étrangères de la part de grands groupes industriels et potentiellement de gouvernements étrangers (notamment les États-Unis ou la Chine). Jokowi arrive alors dans un contexte où son pays attend de lui que ce type de situation ne se reproduise plus et que l’Indonésie soit en mesure de prendre ses propres décisions. Le pays refuse désormais que ses conduites soient dictées par des puissances étrangères. Ces condamnations, finalement assez routinières pour l’Indonésie, sont en réalité un véritable test pour le président puisqu’il s’agit de montrer s’il est capable ou non de prendre en main la destinée de son pays et de ne pas céder aux pressions de gouvernements étrangers. Selon moi, cet aspect joue beaucoup dans cette fermeté dont il fait effectivement preuve.

Quelles peuvent être les conséquences diplomatiques à l’avenir de ces exécutions ?
L’Indonésie a toujours pratiqué des exécutions et certaines ont d’ailleurs déjà eu lieu depuis le début de l’année 2015. 2014, qui n’a connu aucune exécution, fait figure d’exception pour raison de calendrier électoral. Ces exécutions font partie du système légal de l’Indonésie, quel que soit le regard que l’on puisse porter dessus. Par conséquent, je ne pense pas que la crise diplomatique à laquelle nous assistons aujourd’hui se traduise par une modification des lois indonésiennes ou même du regard que porte l’Indonésie sur son système légal.
D’un point de vue purement diplomatique, il ne faut pas non plus s’attendre à un véritable tournant, à mon sens. Encore une fois, nous avons à faire à un État démocratique. C’est une affaire qui est légitimement prise très au sérieux par la diplomatie française et il est tout à fait normal que cette dernière demande l’extradition d’un de ses ressortissants. Sans doute assisterons nous à l’avenir, sinon à une plus grande transparence, en tout cas peut-être à des échanges dans ce domaine. On peut envisager que la France ou l’Union européenne réussiront à négocier avec l’Indonésie un certain nombre de mesures en matière d’extradition. Il me semble que c’est peut-être la conséquence la plus plausible de cette crise. Il y a effectivement un effet grossissant sur cette situation, mais cela ne devrait pas se traduire par une détérioration des relations entre nos deux pays. Il faut avoir en tête que la France a des intérêts en Indonésie et que les Indonésiens n’ont pas non plus intérêt de leur côté à se mettre à dos des pays comme la France ou l’Union européenne au sens large.
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