ANALYSES

Cyberattaque contre TV5 : « Un cap franchi par les terroristes »

Presse
9 avril 2015

TV5 Monde a été la cible d’une cyberattaque inédite qui a paralysé plusieurs heures, de mercredi à jeudi, l’antenne de la chaîne francophone. Spécialiste de l’information et de la stratégie à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), François-Bernard Huyghe décrypte pour le JDD.fr qu’il décrit comme une « première attaque d’ampleur ».


En quoi l’attaque, mercredi soir, de ce « CyberCaliphate », se revendiquant de l’Etat islamique, contre TV5 Monde est exceptionnelle ?


C’est la première attaque d’ampleur contre des réseaux d’informations, qui plus est une chaîne de télévision internationale. Au lieu de faire une cyberattaque par déni d’accès, en postant juste un message sur une page d’accueil de site par exemple, ils ont réussi à empêcher tout un système de fonctionner pendant un certain temps. C’est un véritable sabotage informatique, ils ont franchi un cap. Et au vu de la réaction du gouvernement, qui a dépêché au siège de TV5 Monde Laurent Fabius, Bernard Cazeneuve et Fleur Pellerin jeudi matin, l’Etat prend ça très au sérieux. Sous réserve que l’enquête confirme la responsabilité de terroristes, imaginez maintenant qu’une telle cyberattaque concerne une banque, un réseau d’énergie, etc.


Peut-on parler du début d’une cyberguerre entre terroristes et Etats ?


Je n’aime pas ce terme car la guerre, sur sa stricte définition, a deux caractéristiques : elle tue des gens et se termine par une paix. Ce qui n’est pas le cas d’une cyberguerre. Mais il est clair qu’il y aura de plus en plus d’offensives informatiques menées par des groupes privés ou, en secret, par des Etats. Les cyberattaques seront désormais une part de tout conflit, quel qu’il soit.


Les cyberattaques n’étaient pas privilégiées par les terroristes jusqu’à l’émergence de l’Etat islamique. Une nouvelle génération de pirates, engagées auprès du terrorisme, est-elle en train d’apparaître ?


C’est un élément d’explication. L’Etat islamique compte sans doute des profils professionnels et culturels dont ne disposait pas le canal historique d’Al-Qaïda. Cela ne veut pas dire que les groupes terroristes, dans les années 2000, manquaient de scientifiques. Il ne faut pas oublier que des ingénieurs faisaient partie des kamikazes du 11-Septembre. Al-Qaïda avait imaginé des plans de cyberattaques visant, entre autres, des banques nationales. Mais les responsables de l’organisation semblent finalement avoir estimé que ce n’était pas leur combat.


Selon les autorités occidentales, le groupe Etat islamique procède à ses recrutements via Internet. Les réseaux sont-ils assez surveillés ?


Déjà, il faudrait discuter de ce recrutement en ligne. Nos services avancent le chiffre de 1.243 djihadistes français recrutés ainsi, il faudrait connaître leur méthodologie. Reste qu’on observe un phénomène générationnel. Les jeunes qui partent en Syrie faire le djihad sont mieux connectés et maîtrisent davantage le numérique que leurs aînés. Le fait de vouloir revenir au califat abbasside de 1262 ne vous empêche pas de savoir vous servir d’un ordinateur.


Que peut-on faire face à cette forme de terrorisme en expansion ?


La France n’est pas nulle en matière de prévention. La gauche comme la droite ont su doter le pays d’armes efficaces. Et Jean-Yves Le Drian (le ministre de la Défense) a présenté en janvier 2014 un « pacte défense cyber » qui nous a mis à jour. Que peut-on faire de plus? Mieux se défendre, et notamment au travers d’accords entre l’Etat et les entreprises potentiellement visées. Ceci dit, la défense c’est bien, l’attaque c’est encore mieux. La DGSE (la direction générale du renseignement) dispose ainsi d’armes offensives, des virus malveillants par exemple qu’elle pourrait utiliser contre ses ennemis. A-t-elle le droit de les utiliser? La réponse est compliquée. Il faut d’abord savoir d’où viennent les attaques et, quand bien même on le saurait, il faut respecter les règles internationales. Pour ma part, je serai tout de même partisan d’agir.

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