ANALYSES

Commande de Rafale par l’Inde à la France : bonne ou mauvaise nouvelle ?

Interview
10 avril 2015
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
La France et l’Inde viennent d’annoncer l’achat de deux escadrons de Rafale, soit 36 avions. Cette annonce est-elle une surprise  ?

Oui, dans le sens où ce n’est pas ce qui avait été prévu initialement. Dassault et l’Etat indien négociait depuis quatre ans un contrat qui prévoyait la vente de 126 avions, c’est-à-dire plus du triple de ce qui vient d’être vendu. Dans le contrat initialement négocié, 18 avions devaient être fabriqués et France et les 108 autres en Inde. Le montage en Inde devait être réalisé par l’entreprise HAL. C’était un montage industriel complexe où Dassault procédait au transfert de technologie et livrait des kits qui devaient être assemblés par HAL. Le contrat qui était négocié depuis quatre ans prévoyait également des accords de compensation à 50%, c’est-à-dire que l’Inde devait bénéficier d’un retour industriel à hauteur de 50% du contrat. Le Rafale est un avion complexe et les Indiens souhaitaient que Dassault garantisse les avions fabriqués en Inde par HAL. C’était donc une sorte de risque difficile à évaluer financièrement et dans lequel Dassault rechignait à s’engager. C’était aussi ce montage complexe qui expliquait, au-delà d’une certaine lourdeur du système bureaucratique indien, que la négociation du contrat traînait en longueur : quatre ans de négociation c’est long, même pour l’Inde. Finalement, il a été décidé de vendre un nombre réduit d’avions (36) pour un prix moins important également. On parlait de 20 milliards d’euros pour les 126 avions : ce sera naturellement moins pour les 36 commandés, mais cela restera significatif. Mais dans l’accord qui a été trouvé, ces avions seront construits par Dassault ce qui permettra aux Indiens d’avoir à la fois toute garantie sur les avions mais également de pouvoir en bénéficier beaucoup plus rapidement que s’ils avaient été fabriqués en Inde

Est-ce une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle pour la France ?

A court terme, c’est une bonne nouvelle. Une vente directe ce sont des emplois en France et, après la vente de 24 Rafale en Egypte, la vente de 36 avions en Inde veut dire que l’hypothèque qui existait dans la loi de programmation militaire 2014-2019 – c’est-à-dire le fait que les exportations devaient prendre le relais des acquisitions par l’armée de l’Air à partir de 2016 -, est levée.
Pour ce qui est de Dassault, la chaîne de montage de Mérignac pourra être en activité jusqu’après 2020 et c’est tout le tissu industriel français qui en profitera : les autres grandes entreprises impliquées, Thales, Safran pour l’électronique et les moteurs, MBDA pour les missiles. C’est aussi toute la chaîne des sous-traitants qui sera alimentée ce qui n’était pas garanti si les avions avaient été fabriqués en Inde. Egalement, les contrats export permettent en général de financer de nouveaux développements technologiques qui permettent d’alimenter la compétitivité de l’industrie de défense et de venir en complément des crédits de recherche venant du budget de la défense de la France dont on sait qu’ils ne sont pas extensibles à l’infini.
A long terme c’est peut être une moins bonne nouvelle. Le “méga contrat” que constituait la vente de 126 avions n’est donc pas signé et, même si les négociations vont continuer, cela vient souligner les difficultés à trouver un terrain d’entente dans une vente que les Indiens souhaitaient être une aide au développement de leur industrie de défense alors que les Français, et notamment Dassault, voient comme une contrainte imposée en contrepartie du grand nombre d’avions vendus. Il faut donc s’interroger sur ce que veut dire la notion de partenariat stratégique et ce que nous sommes prêts à accepter pour aider l’Inde à bâtir une industrie de défense. Les transferts de technologie ne sont pas un problème en soit si nous savons les maîtriser et notamment continuer à développer de nouveaux matériels et de nouvelles technologies pour conserver notre avance. Il faut que les Indiens s’interrogent aussi sur ce qui serait le plus utile  de nous demander pour les aider à bâtir une industrie de défense. Il serait peut être plus raisonnable de les aider à développer un nouveau matériel – comme Airbus va le faire avec les Coréens dans le domaine des hélicoptères de combat -, que de vouloir tout transférer, tout fabriquer, pour un équipement ultra sophistiqué comme le Rafale. De même, bâtir une industrie d’armement, c’est disposer d’ingénieurs, de structures capables de gérer des programmes comme c’est le cas en France avec la DGA et avoir des entreprises qui sont structurées pour développer ces nouveaux matériels. Tout n’est pas parfait en France, loin de là, mais on peut quand même dire que « c’est mieux qu’ailleurs”. Ce savoir-faire, il faut savoir le vendre également : il vaut plus cher qu’on ne le croit, et cela nous permettrait d’établir de vrais partenariats avec des pays émergents sur la durée.
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