ANALYSES

Attaque au Kenya: «L’objectif des shebab est de regagner du terrain en Somalie»

Presse
6 avril 2015
Interview de Philippe Hugon - 20 Minutes

Quatre jours après la mort de 148 étudiants dans l’attaque de l’université de Garissa, revendiquée par les shebab somaliens, les bombardements kényans ont repris en Somalie. Ce lundi, l’aviation militaire kényane a frappé et détruit deux camps des islamistes. Une attaque prévue avant la fusillade et qui, selon un porte-parole de l’armée, s’inscrit dans l’engagement permanent du Kenya contre les shebab. Quelle est la nature de ce conflit et que cherchent ces derniers? Réponses de Philippe Hugon, auteur de Géopolitique de l’Afrique (éd. Armand Colin) et chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).


Pourquoi le Kenya est-il ciblé par les shebab?


Le Kenya est une puissance militaire présente en Somalie, d’où viennent les shebab. L’Etat kényan intervient directement, en son nom propre, mais aussi au sein de l’Amisom, la mission de maintien de la paix menée par l’Union africaine, au même titre que l’Ouganda et le Burundi, notamment. Ces pays-là ont eux aussi été touchés par des attentats, mais il faut noter que le Kenya a été le plus lourdement frappé, avec trois attentats très meurtriers en trois ans. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il existe au Kenya une forte communauté d’origine somalienne. Le premier assaillant identifié était d’ailleurs un Kényan de l’ethnie des Somalis.


Pourquoi avoir visé une université?


Les shebab ont voulu monter un cran dans l’horreur, sur le modèle de Boko Haram. En visant une université, ils se sont attaqués à un lieu de savoir et à la jeunesse, chrétienne en l’occurrence. Ils sont dans une guerre de communication à l’échelle du monde ou au moins de la région. Leur but est de faire parler d’eux, comme Daesh lorsqu’il décapite des otages.


Quels sont les objectifs des shebab?


Avec ces attentats, ils cherchent à créer une guerre de religion au Kenya pour l’affaiblir et pouvoir agir dans le champ politique somalien, dont ils ont été chassés en 2006. Jusqu’à cette date, ils étaient bien implantés dans les tribunaux islamiques qui souhaitaient instaurer un Etat régi intégralement par la charia. Depuis qu’ils ont été délogés du pouvoir, ils aspirent à regagner du terrain en Somalie.


Ils ont promis une «longue et épouvantable guerre» au Kenya. En ont-ils les moyens?


Ils sont affiliés à Al-Qaida, et peuvent compter sur l’argent des trafics [de drogue et d’armes], de la diaspora somalienne, des prises d’otages par les pirates, et probablement encore de l’Erythrée, qui les a longtemps financés. En outre, ils recrutent toujours des jeunes sans perspectives qui sont prêts à mourir. Ils ont donc les moyens de mener des attentats-suicides et des assassinats, bref de mener une guérilla. Mais ils n’ont pas la capacité de s’engager dans une guerre avec une véritable armée. Ils sont dans une lutte asymétrique.


La France, récemment menacée par les shebab, s’est peu exprimée sur le drame kényan. Comment l’expliquez-vous?


En Afrique, la France est très présente au Sahel et en Centrafrique. La Corne de l’Afrique, c’est plutôt une zone surveillée par les Etats-Unis avec ses alliés kényan, éthiopien et ougandais. La France pourra toujours apporter son aide sur le plan du renseignement, notamment depuis sa base militaire de Djibouti. Mais elle n’a pas pour habitude de s’impliquer davantage dans la région.

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