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Pourquoi l’accord sur le nucléaire iranien n’aura probablement pas les vertus qu’imagine l’Occident

Presse
28 mars 2015
A l’approche des négociations sur le nucléaire iranien à Lausanne, les crispations sont de plus exacerbées entre les opposant à tout accord, et ceux qui le soutiennent. Beaucoup de personnes estiment que la levée des sanctions s’accompagnera forcément d’améliorations démocratiques. Pourquoi faut-il être prudent à ce sujet ?
Le paysage politique iranien se divise entre conservateurs radicaux, conservateurs modérés, dont fait partie le président Rohani, et les réformateurs. Rohani a été élu sur la promesse d’aboutir à un accord et une levée des sanctions, d’évoluer sur les libertés, d’ouvrir le système politique iranien et d’améliorer la situation économique. Si un accord est signé sur le nucléaire, on peut supposer que cela lui donnera plus de capital politique pour engager des réformes économiques et sociétales. Ceci dit, ses adversaires ne vont pas lâcher prise pour autant. Un conservateur modéré qui tenait des propos très durs contre la branche dure du régime a été agressé il y a quelques jours. En outre, c’est un dirigeant très radical qui été élu président de l’Assemblée des experts, chargée de désigner le nouveau Guide qui succèdera à Ali Khameney dont on dit qu’il est très malade. Les radicaux contrôlent encore la justice, les pasdarans sont très proches d’eux… Dans ces conditions, Rohani n’a pas les coudées franches. En l’absence de réussite des négociations, les radicaux auraient pu en profiter pour enfoncer définitivement les modérés, en clamant qu’il est inutile de chercher à traiter avec les Occidentaux. Comment c’est l’inverse qui se profile, la grande question est de savoir ce qu’il va pouvoir faire de ce succès pour satisfaire les attentes de la société.

Ali Khameney garde tout de même le dernier mot…
Effectivement. Il a favorisé les négociations, mais il n’en reste pas moins conservateur, de la branche des plus durs. Et il va tirer lui aussi un crédit du succès des négociations. Il jouera un rôle important par la suite, car nous verrons s’il décide ou non d’appuyer Rohani dans l’ouverture du système économique et politique. Des bémols s’imposent, car le Guide n’est pas connu pour être partisan d’une ouverture politique du régime.

Si le pays se développe, ce sera autant de moyens en plus pour aider le régime à assurer le maintien de ses structures, non ?
Beaucoup de forces conservatrices iraniennes sont liées à des activités économiques rentières basée sur un monopole. Le secteur privé iranien attend de Rohani une libéralisation de l’économie, et qu’il arrête de soutenir les rentiers, car leur concurrence est considérés comme injuste. Les dirigeants des pasdarans font partie de ces rentiers, certains estiment qu’ils peuvent profiter de l’ouverture économique, mais ça reste un élément de blocage qu’il faudra dépasser.

Quels risques les Occidentaux prendraient-ils à considérer les Iraniens comme de nouveaux alliés dans la région ?
Il serait stupide de penser que les Iraniens vont devenir les nouveaux gendarmes des occidentaux au Moyen-Orient comme du temps du Shah. Ce serait méconnaître l’histoire du pays : ce qui tient le régime, c’est justement le nationalisme iranien, avec une forte dimension religieuse. A chaque fois ils procèderont à une estimation de leurs intérêts. La normalisation des relations avec les Etats-Unis n’est pas envisagée comme la naissance d’une pseudo amitié, mais comme une manière de servir leurs ambitions régionales. Dois-je rappeler que les pasdarans sont contre les négociations avec les Etats-Unis ?

Qu’est-ce que cette normalisation des relations laisse entrevoir pour l’équilibre des puissances au Moyen-Orient ?
Israël et les puissances sunnites sont très inquiets. C’est compréhensible dans la mesure où la reprise du dialogue avec les Etats-Unis était encore inenvisageable il y a encore cinq ans. Mais ces inquiétudes n’ont pas à entrer dans les schémas de pensée des Occidentaux? La pire des choses serait de continuer de pousser l’Iran à adopter l’attitude du « bad boy » de la région, exclu du jeu et de toute négociation. Dans le cas de la Syrie, les diplomates français estimaient que l’on ne pouvait pas faire confiance à l’Iran. On a vu ce que ça a donné, rien n’a changé en Syrie, les Iraniens ont tout fait pour contrecarrer les politiques occidentales. Mais aujourd’hui, si les intérêts des Iraniens concordent avec ceux des occidentaux, alors ces derniers ont intérêt à les avoir avec eux. Beaucoup de crises dans la région peuvent être stabilisées.
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