ANALYSES

Agenda du développement post-2015: cap sur l’agriculture et pari sur la Méditerranée

Presse
12 mars 2015
2015 est une année charnière. Plusieurs grands rendez-vous internationaux vont positionner les enjeux agricoles, alimentaires et ruraux au centre des Objectifs de développement durable (ODD) qui seront instaurés dans le cadre du nouvel agenda global du développement post-2015. Celui-ci sera adopté en septembre lors de l’Assemblée générale annuelle des Nations-Unies et constituera une des principales matrices de la coopération internationale pour les quinze prochaines années.

Ouverte de mai à octobre, l’Exposition universelle de Milan, intitulée « Nourrir la planète. Une énergie pour la vie », et qui mobilise les autorités et la société italiennes, représentera un autre moment fort de l’année 2015. Des solutions au défi de la sécurité alimentaire mondiale y seront présentées. C’estaussila 21ème conférence des parties sur le changement climatique (COP21) qui se tiendra à Paris en décembre 2015, dans laquelle l’agriculture aura toute sa place, comme le rappellent régulièrement plusieurs ministres du gouvernement français, convaincus d’une diplomatie agricole interdépendante de celle sur les négociations climatiques.

Le 7ème forum mondial de l’eau, prévu en Corée du Sud du 12 au 17 avril, ne saurait par ailleurs oublier l’agriculture. De même, l’année internationale des sols lancée par les Nations-unies en 2015 mettre en exergue le rôle essentiel de l’agriculture dans la conservation des sols et ne pourra pas ignorer l’épineuse problématique du foncier agricole dans les politiques de développement. Les questions liées aux ressources naturelles, aux dérèglements climatiques, à la production agricole, à la croissance inclusive (sociale et territoriale) et à la sécurité alimentaire (socle indispensable à la sécurité humaine) se trouvent donc au cœur d’une année 2015 riche en événements et qui se veut celle des solutions pour un développement plus durable.

Ce développement durable doit rendre plus complémentaires et plus synergiques ses trois piliers que sont l’économique, le social et l’environnemental. Préserver la planète est indispensable, il ne doit pas y avoir de débat à ce sujet. Mais produire de la richesse et répartir équitablement celle-ci, tout comme les ressources de la planète, est tout aussi important. Ce serait une grave erreur de mettre toute la priorité sur le seul pilier écologique au sein de l’agenda post-2015 du développement. En effet, une telle hypothèse, trop liée aux préoccupations des pays riches,ferait fi des besoins humains les plus pressants. Les individus doivent rester l’attention première des ODD.

C’est parce qu’ils inventent des solutions et accumulent des connaissances qu’ils parviennent à s’adapter aux changements. L’homme est le protagoniste des solutions qui peuvent surmonter le mal-développement. Cette lecture positive de l’action anthropique sur l’état de la planète ne vise pas à lutter contre la sinistrose ambiante. Elle se veut résolument tournée vers le génie humain, capable d’inverser des tendances, de créer et de trouver des solutions locales adaptées pour répondre aux défis globaux.

En affirmant cela, c’est un plaidoyer qui est proposé pour un agenda post-2015 qui soit articulée en quatre piliers: l’économique, l’environnemental et le social certes, mais aussi l’innovation. Si celle-ci sous-tend le concept de développement durable depuis des années, il est peut-être temps de la positionner plus clairement. Par innovation, deux choses sont entendues. Tout d’abord la capacité de l’homme à créer du changement, à faire progresser la science, à nourrir la connaissance et à apporter ces ruptures historiques qui font parfois faire des bonds de géant à l’humanité. Ensuite la mise en œuvre des ODD à l’échelle locale doit tenir compte des spécificités culturelles, sociales, économiques et géographiques des sociétés. L’innovation pour le développement est forcément locale et distinctive.

Il n’y a pas de recette magique. Il faut s’adapter aux réalités des territoires pour efficacement mettre les connaissances en liaison avec les pratiques, les besoins, et les contraintes du contexte dans lequel une action doit se traduire en résultat tangible pour la vie des populations. Chaque territoire peut donc inventer son modèle (ses modèles !), à son rythme, avec ses acteurs, ses difficultés et ses histoires.

Cette proposition d’un développement durable reposant sur quatre piliers complémentaires agissant en faveur de l’homme et des générations futures trouve un sens concret dans le domaine de la sécurité alimentaire. Comment en effet construire des ODD qui seraient déconnectés de la problématique de l’emploi et de la sécurité humaine au quotidien? Pour le dire autrement, l’heure n’est plus aux interrogations concernant le produire mieux ou le produire plus, puisqu’un consensus mondial se dégage sur l’impérieuse nécessité de concilier les deux approches, dans un commun mouvement. Ce ne sera pas simple. Relever un tel défi repose sur la volonté des hommes et des politiques publiques qui seront mises en place, sur la mobilisation de toutes les agricultures du globe et sur l’implication de la jeunesse dans le futur.

Si le vieillissement démographique des agriculteurs se poursuit partout sur la planète, c’est non seulement la sécurité alimentaire mondiale qui sera en danger mais aussi les marchés de l’emploi (hors agriculture) qui seront saturés. Des modèles agricoles qui existeront demain dépendent une partie des solutions pour atténuer le chômage dans des pays où l’agriculture peut rester une source d’activités et de revenus si l’homme le veut. Nourrir plus de 9 milliards de personnes en 2050 avec une agriculture sans visages constituerait un choix impliquant de très lourdes conséquences socio-économiques.

En revanche, favoriser des modèles de développement socio-économiques capables de fournir aux populations en milieu rural d’y vivre dignement (ce qui passe notamment par un soutien clair à l’agriculture familiale) atténuerait sans aucun doute l’exode vers les villes et toutes ses retombées négatives. Il est donc géopolitiquement responsable de maintenir des stratégies de développement agricole et rural dans lesquels les considérations humaines ne doivent pas être sacrifiées sur l’autel de l’écologie. Entendons-nous bien, en disant cela, nous n’ignorons pas l’urgence environnementale ni ne la nions. Nous suggérons simplement de ne pas en faire l’alpha et l’oméga d’un développement durable où l’être humain serait secondaire. Il faut le reclasser comme la priorité, à plus forte raison quand on parle de la sécurité alimentaire. C’est en effet la fonction principale de l’agriculture que de nourrir les hommes.

Dans cette perspective, la réduction des gaspillages représente un chantier déterminant. Mieux gérer les ressources naturelles et éviter de perdre tant d’eau, tant de terres arables, tant de biodiversité, voilà ce que de plus en plus d’hommes, y compris en Europe, doivent apprendre à faire. Ne plus perdre une partie des productions agricoles, après récoltes, dans les phases de transport et de stockage ou lors des consommations, voilà ce que les êtres humains vont devoir avoir comme réflexes au quotidien. Autant de gestes individuels qui, s’additionnant, contribueront à limiter les insécurités alimentaires collectives.

Mais il faut aussi lutter contre le gaspillage des connaissances ! En agriculture, c’est capital. Des savoir-faire traditionnels méritent la plus grande attention, des solutions trouvées localement appellent à une meilleure diffusion dans l’espace, ce que les technologies de communication modernes permettent largement de catalyser. Nourrir le savoir donc, en partageant toujours davantage les expériences, les connaissances et les idées. L’économie circulaire des savoirs représente une puissance incroyable. L’innovation, ce n’est pas uniquement la création de « l’inédit », c’est aussi, voire surtout, le pouvoir de fédérer des énergies et des intelligences au service d’objectifs communs tels que les ODD.

Avec de telles réflexions, il va de soi que nos regards sont tournés vers la Méditerranée. Cet espace doit être un trait d’union entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, pas un obstacle, un mur ou une accumulation de peurs. Les secousses géopolitiques sont nombreuses actuellement. Doit-on pour autant abandonner l’esprit de Barcelone qui en 1995 proposait un partenariat authentique entre les pays européens et ceux de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient? La vision d’une grande région euro-méditerranéenne s’est brouillée et la Politique de voisinage de l’Union européenne pousse les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée à la périphérie.

Pour les 20 ans de la déclaration de Barcelone, en novembre 2015, il faut militer pour une Méditerranée qui continue à travailler ensemble pour réduire les incertitudes, pour faire face aux enjeux communs et pour avancer vers un développement plus inclusif. L’agenda des priorités de la coopération euro-méditerranéenne ne saurait se cantonner aux seuls aspects militaires ou à la lutte contre les terrorismes et les mobilités irrégulières. La sécurité humaine, c’est d’abord l’accès à l’alimentation, à l’emploi ou aux connaissances. Sans la possibilité de pouvoir mener une vie décente, les êtres humains sont généralement tentés par la révolte, la radicalisation ou la migration. Il faut donc être militant de la Méditerranée si l’on croit encore en l’avenir de l’Europe. Et dans ce cas reconnaitre que les besoins premiers des populations de cette région restent orientés sur les enjeux de la sécurité alimentaire, de l’emploi et d’une vie qui soit meilleure en milieu rural.

Sans progrès sur ces questions dans les années à venir, c’est l’agenda du développement post-2015 dans la région qui serait obsolète et c’est l’état stratégique de l’espace méditerranéen qui deviendrait incontrôlable.
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