ANALYSES

Quel poids doit-on accorder à la menace des Shebabs de Somalie sur l’Occident ?

Interview
23 février 2015
Le point de vue de Philippe Hugon
Faut-il prendre ces menaces au sérieux dans la mesure où les Shebabs n’ont jamais revendiqué d’attaques en Occident et mènent des actions principalement en Somalie et au Kenya ?
Il semble peu probable qu’une attaque des Shebabs puisse avoir lieu en Occident puisqu’ils n’ont jamais agi en dehors de leur territoire ou des pays voisins comme le Kenya ou l’Ouganda. Les Shebabs opèrent essentiellement sur le territoire de la Somalie Mogadiscio, puisqu’ils ne sont pas ou très peu présents au Somaliland ou au Puntland. On peut aussi envisager qu’ils mènent des actions en Ethiopie dans le futur.
Pour agir, il faut avoir des cellules dormantes, des réseaux au niveau international. Or, en ce qui concerne la France, la communauté somalienne y est très peu nombreuse et il n’est pas certain que les Shebabs aient les capacités nécessaires pour mener une action à distance, sauf par un attentat suicide.
En revanche, dans les pays où il y a une forte diaspora somalienne, il faut prendre ces menaces au sérieux puisqu’il existe des liens financiers importants entre cette diaspora somalienne et certains groupes Shebabs. Cela étant, leur champ d’action et leurs ressources sont liées à des contrôles de territoires, des trafics et des prises d’otages en lien avec la piraterie maritime. Il est ainsi difficile d’envisager que des actions internationales puissent être menées par les Shebabs actuellement dans la mesure où ne voit pas très bien comment ils auraient pu changer et faire évoluer en si peu de temps leur capacité d’action.

Selon vous, les Shebabs sont-ils en train d’adopter une nouvelle stratégie médiatique ou essaient-ils seulement de surfer sur la vague des attentats commis en Occident ces dernières années ?
Le groupe terroriste Al-Shabaab est affilié au groupe Al-Qaïda et ce dernier souhaite effectivement se positionner dans les guerres médiatiques via la terreur. Al-Qaïda est en perte de vitesse par rapport à Daech et on parle peu des Shebabs dans la mesure où leurs factions sont moins connues en dehors des pays de la Corne de l’Afrique. La vidéo diffusée dimanche doit certainement être une manière de faire parler d’eux. Les Shebabs veulent surtout se faire connaître et réapparaître dans les médias internationaux en réaffirmant leur affiliation et leur fidélité à Al-Qaïda.

Quel pouvoir et quelle place les Shebabs ont-ils en Somalie aujourd’hui ? Plus largement, dans quelle situation politique et de développement se trouve la Somalie ?
Les Shebabs contrôlent une grande partie de la Somalie à l’exception de Mogadiscio – grâce à une intervention internationale qui les en a repoussé -, de la République du Somaliland située au Nord du pays (non reconnue par la communauté internationale), et de la région du Puntland au Nord-Est de la Somalie.
Il n’y a pas d’avancées politiques en Somalie et cette situation apparait durable puisque les luttes contre les Shebabs n’ont pas complètement réussi à les rendre inopérants. Aujourd’hui, le gouvernement de Mogadiscio est très peu représentatif, le Sud du pays est sous le contrôle des Shebabs et l’économie fonctionne sans Etat.
Dans les faits, tout est privatisé, même la guerre. Il n’y a pas de droits de douane, de fiscalité, etc. On assiste à des luttes entre des chefs de clan qui gangrènent la Somalie et les Shebabs contrôlent l’essentiel du territoire. Ainsi, ce n’est pas une guerre complète couplée à une terreur généralisée, mais l’économie somalienne reste rythmée par les conflits entre les différents seigneurs de guerre et les chefs de clan, et ce depuis dix ans.
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