ANALYSES

Les « Swiss Leaks » de la banque HSBC : scoop ou monnaie courante ?

Interview
10 février 2015
Le point de vue de Éric Vernier
On découvrait dimanche soir, suite aux révélations du journal Le Monde, un vaste système d’évasion fiscale orchestré et encouragé par la banque britannique HSBC entre 2006 et 2007 à l’échelle internationale. Êtes-vous surpris par ces révélations ? Ces pratiques sont-elles courantes et connues ?
Non, ce n’est absolument pas surprenant. Ce sont des pratiques que nous sommes nombreux à dénoncer depuis très longtemps pour d’autres banques, mais tout particulièrement pour HSBC. Nombreux étaient ceux au courant des habitudes des commerciaux d’HSBC notamment, qui draguaient la clientèle pour lui proposer de la fraude et de l’évasion fiscale, en France ou dans le monde. L’une des techniques principales est d’organiser des matchs de polo ou des compétitions de golf pour des gens fortunés et leur proposer des services bancaires pendant ces compétitions ou durant des cocktails. HSBC n’en est pas à sa première affaire ; on peut par exemple citer son accusation aux Etats-Unis en 2012 dans une affaire de blanchiment et de transferts de fonds suspects. Cette nouvelle révélation n’est donc absolument pas une surprise mais plutôt une confirmation.


HSBC a réaffirmé ce lundi dans un communiqué avoir « changé », après les « manquements constatés en 2007 ». Est-il possible d’envisager que les banques aptes à proposer ce genre de service, puissent s’assagir par elles-mêmes ?
Ces déclarations sont régulières et concernent toutes les banques quand elles sont prises la main dans le sac. A chaque fois, les banques prétendent interrompre ces pratiques mais les affaires continuent de se succéder. Il est inenvisageable de croire qu’elles s’assagiront d’elles-mêmes. Néanmoins, il faut noter que leurs activités sont un peu moins douteuses dans la mesure où la Suisse a mis en place un système de contrôle un peu plus rigoureux. En revanche, ces mesures prises par les Helvétiques ne sont pas forcément mises en place par d’autres places financières dans le monde, où ces mêmes banques sont également présentes. Etant internationales, leurs pratiques ne sont pas identiques dans le monde entier.


Au vu de l’ampleur du phénomène d’évasion fiscale au niveau international, comment peut-on expliquer que les Etats ne légifèrent pas sur ce problème et ne coopèrent pas plus entre eux ?
Du point de vue de la coopération, on constate depuis un an des avancées dans la mesure où des lois et des directives européennes ont été mises en place par certains pays dans le domaine de la fiscalité. Ces initiatives font suite aux problèmes budgétaires que rencontrent les Etats et qui commencent donc à lutter un peu plus efficacement contre la fraude fiscale.
On observe également une coopération au niveau européen et plus largement au niveau international, notamment dans le cadre de l’OCDE. Le problème est qu’en termes fiscaux, les pays aiment conserver leur souveraineté et ont chacun des systèmes possédant leurs particularités. Tous les Etats n’ont donc pas le même point de vue et la même approche dans ce domaine.
D’un point de vue répressif, il est souvent reproché aux Etats de ne pas en faire assez pour lutter contre la fraude fiscale. Il y a plusieurs raisons à cela. Les Etats peuvent parfois profiter des paradis fiscaux et même en avoir besoin, par exemple pour mener des opérations à l’étranger ou financer des groupes de rebelles. Pour ce genre d’actions, il est préférable de passer par des comptes qui se trouvent sur des territoires opaques sur le plan bancaire.
Il existe aussi des gouvernements avec des élites politiques qui profitent des paradis fiscaux, soit pour le financement de partis politiques, soit à titre strictement personnel pour leur propre enrichissement. Ces élites n’ont, dans ces cas-là, aucun intérêt à réglementer ces pratiques bancaires.
Par ailleurs, certains pays font pression sur les autres pour que les choses ne changent pas. La City à Londres, par exemple, a tout intérêt à l’existence des paradis fiscaux pour drainer de l’argent et faire fonctionner ses activités, qui représentent tout de même 13% du PIB de la Grande-Bretagne.
Enfin, les banques sont parmi les premiers employeurs au monde. Mettre le nez de trop près dans leurs activités ou les juguler, c’est prendre le risque de provoquer de véritables changements économiques et sociaux – ce que les pouvoirs publics redoutent et souhaitent en général éviter.
Par conséquent, toutes ces raisons amènent beaucoup de freins à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
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