ANALYSES

Ukraine : « Il n’y a aucune solution militaire à ce conflit »

Presse
7 février 2015
La visite de Hollande et Merkel est-elle celle de la dernière chance ?

C’est la énième tentative de dernière chance. On peut dire que ça vient à un moment clé, un tournant de la crise, puisqu’il y a une accélération des violences. C’est donc important, mais il y aura toujours d’autres occasions, même si, si cette visite ne réussit pas, on aura une nouvelle dégradation du conflit.

Est-il possible aujourd’hui de désigner un responsable dans ce conflit ?

Il y a des responsabilités principales, mais chacun a sa part. Tout dépend de quand on date le début de la crise. Ce qui est sûr, c’est que sur ces derniers jours, les Russes ont mis de l’huile sur le feu. Loin de calmer les séparatistes, ils les ont encouragés à accroître leur avance militaire. Non pas que les séparatistes soient des marionnettes aux mains du Kremlin, ils ont leur propre indépendance, mais on peut dire que la Russie a des moyens de pression qu’elle n’a pas fait jouer. Les Ukrainiens n’ont pas saisi non plus toutes les chances d’aller vers un règlement négocié. Et enfin, on peut dire que l’Otan, en parlant de militariser le conflit, d’apporter une aide militaire à l’Ukraine, met également de l’huile sur le feu.

Justement, l’Otan vient d’annoncer un renforcement sur son flanc Est. C’était vraiment nécessaire ?

Je ne pense pas que l’Otan va faire la guerre à la Russie. Là il y avait un besoin bureaucratique. L’Otan est un acteur autonome, qui a un besoin politique d’exister, et qui a besoin d’une menace pour ça. L’Otan grossit la menace pour justifier son existence 25 ans après la chute du Mur de Berlin. Du côté russe le maintien de l’Otan prouve que les Occidentaux ne les considèrent pas comme un partenaire, et l’élargissement de l’Otan est vécu comme une menace. Du côté de l’Otan le raidissement russe est vu comme la justification du maintien d’une structure militaire en Europe. On est dans un cercle vicieux.

Obama envisage une livraison d’armes à l’Ukraine. Croyez-vous en cette possibilité ?

On peut le craindre, car il est critiqué sur sa politique étrangère par les Républicains. Il peut vouloir faire preuve de fermeté pour faire taire les critiques, mais on rentrerait dans un engrenage dont il n’est pas certain qu’on puisse par la suite le contrôler. Et je ne pense pas qu’il y ait une issue militaire victorieuse pour l’Ukraine dans cette crise. Il y a des chances de solutions politiques qui sont faibles, mais il n’y a aucune solution militaire.

Vladimir Poutine a-t-il encore les moyens d’imposer un rapport de force, alors que l’économie russe plonge ?

On a vu que l’économie cubaine n’était pas très forte, et que Castro a pu résister à des années de pressions américaines. Bien sûr la situation économique russe se dégrade, mais du coup, les bruits de bottes en Ukraine et les menaces de l’Otan sont une excuse auprès de sa population pour dire que, si les choses vont mal en Russie, ce n’est pas de sa faute et parce qu’il a mal géré le pays, mais c’est du fait de menaces et d’ingérences extérieures, et que lui fait rempart. Le réflexe patriotique fera que les Russes seront d’autant plus prêts à accepter des restrictions en période de crise qu’il y a une menace extérieure. Même si la chute des prix du baril de pétrole est plus responsable de la crise russe que les sanctions internationales, on peut dire que ces dernières permettent à Poutine de masquer auprès de sa population ses propres responsabilités.

Si la guerre prenait encore plus d’ampleur, quels seraient les dangers, les conséquences, pour l’Europe ?

Déjà elle ne pourrait pas s’étendre à toute l’Ukraine, car il y a des régions où les pro-russes n’ont pas de positions. Ensuite, le principal danger est tout simplement pour la population civile ukrainienne – qu’ils soient pro-russes ou anti-russes – qui souffrirait de destructions supplémentaires. Il y a déjà près de 5 500 morts, pour la plupart des civils. Par ailleurs, une intensification des combats en Ukraine aurait un effet négatif sur l’économie européenne car il y aurait un effet géopolitique de peur et de non-confiance dans le futur, avec des tensions très fortes entre Russes et Européens. Est-ce qu’on irait jusqu’à une coupure du gaz ? Je ne crois pas, la Russie a besoin de vendre son gaz, la chute des cours le rend encore plus nécessaire. Le client et le fournisseur sont des prisonniers réciproques.

Quelle issue voyez-vous à court terme, et à plus long terme ?

Franchement il est trop tôt pour répondre. Est-ce que Poutine veut faire des concessions, et est-ce que les Ukrainiens accepteront des compromis ? L’issue de cette crise c’est de trouver une solution pour que chacun sorte la tête haute. Et de ne pas considérer qu’il y a un vainqueur et un vaincu. La solution on la connaît, ça passe par une fédéralisation de l’Ukraine, et par plus d’autonomie aux régions de l’Est, qui, une fois encore, même si elles sont aidées par Moscou, ont une réelle volonté autonome. Porochenko (le président ukrainien) lui-même est prêt à une ouverture, mais son Premier ministre est nettement moins accommodant. Il y a un raidissement de Poutine mais aussi des tiraillements au sein de la direction ukrainienne.
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