ANALYSES

2015 : Année à risque pour les micro-monarchies du Golfe

Presse
2 février 2015
La chute du prix du baril sous les 50 dollars entraîne un manque à gagner de 300 milliards de dollars cette année pour les pays du Conseil de coopération du Golfe ( CCG ) qui réunit l’Arabie Saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats Arabes Unis et le Qatar. Des chiffres qui annoncent un déficit budgétaire pour chacun de ces pays dont la dépendance à l’égard des revenus issus de la production et de l’exportation des hydrocarbures constitue une faiblesse structurelle historique. Le FMI estime néanmoins que ce déficit pourra être financé par les importantes réserves de devises étrangères constituées à l’époque où le baril atteignait plus de 100 dollars. Cet épisode met les micro-monarchies du Golfe – on ne reviendra pas sur le cas saoudien (voir la chronique de la semaine dernière) – à l’épreuve, et ce, au moment même où les risques de déstabilisation endogènes et exogènes sont réels.

Les micro-monarchies du Golfe sont nées sur un espace historiquement voué à la circulation et aux échanges, traversé par la plus ancienne voie commerciale du monde : la Route des Indes. Cette tradition commerciale a vu, depuis le milieu du XVIIIe siècle, l’émergence de véritables familles marchandes qui détenaient le pouvoir économique et rivalisaient avec les familles régnantes. Les indépendances respectives des différents États, mais surtout les revenus pétroliers, ont consolidé le pouvoir des familles régnantes et de ces entités politiques. La culture politique de légitimité tribalo-religieuse, perdure, bien que fragilisée par l’entrelacs des hiérarchies intra-tribales et l’appartenance à différentes sectes religieuses. Les minorités chiites n’ont aucune représentation politique.

Il n’empêche, les sociétés des monarchies du Golfe sont en mutation. Certes, le poids de l’organisation et de la culture tribale demeure fort. Néanmoins, l’afflux de capitaux issus des pétrodollars a bouleversé la morphologie économique et sociale de ces sociétés traditionalistes : déclin du nomadisme bédouin en faveur d’une sédentarisation, transition démographique, développement de classes moyennes, mais aussi fortes dépenses publiques pour affermir la légitimité du pouvoir étatique (notamment face à l’autorité tribale). De surcroît, la présence d’immigrés économiques (essentiellement asiatiques) a perturbé l’équilibre démographique entre nationaux et non-nationaux, ces derniers, majoritaires, étant juridiquement discriminés et économiquement exploités.

En quelques générations, les bédouins de la péninsule ont troqué le mode de vie des nomades chameliers ou pêcheurs (de perle…) pour celui d’entrepreneur/manager à l’ère de la globalisation économique, financière et médiatique. Loin de la caricature de l’État rentier, les micro-monarchies tentent de conjuguer les vertus de l’État-Providence et de l’État stratège. La perspective de l’après-pétrole/gaz les invite à s’engager dans la mise en œuvre – à des niveaux et à des rythmes variables – d’un modèle d’économie post-industrielle. L’abandon progressif et relatif du système rentier se traduit par des politiques de diversification de leur économie via la création et le développement de zones franches et de places boursières, mais surtout à travers l’investissement dans les secteurs des communications, des loisirs et du tourisme, du transport aérien, de l’immobilier de luxe, du marché de l’art. De plus, la politique volontariste de reconversion de la rente pétrolière dans l’économie de la connaissance (Caroline Piquet) tend à se généraliser. L’investissement dans l’éducation et la formation de la jeunesse n’est pas en reste. Toutefois, le développement de nouveaux secteurs d’activités – et le secteur privé dans son ensemble- ne sont pas encore en mesure d’absorber les nouvelles générations de jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail. La soupape que représente l’intégration dans la fonction publique ne peut fonctionner, jouer ad vitam aeternam, sans grever les équilibres budgétaires des États.

Les risques de troubles et de déstabilisations internes augmentent dans un environnement géopolitique en proie à l’instabilité et à l’insécurité. Entourés par les puissances régionales que sont l’Arabie Saoudite, l’Irak et l’Iran, les jeunes et fragiles micros-États et pétromonarchies du Golfe vivent dans la peur d’une agression. Ce sentiment de vulnérabilité s’est accru lors de l’invasion du Koweït en 1990 et est entretenu par les revendications territoriales (terrestres ou maritimes) récurrentes exprimées par plusieurs acteurs de la région. Un tel environnement explique les alliances stratégiques passées avec des puissances régionales ou les États-Unis (notamment par l’installation de bases militaires), ainsi que la réticence de ces régimes à la démocratie libérale. Avec le « réveil arabe », bien qu’apparemment épargnés par les contestations populaires, la plupart des régimes ont durci leur dispositif de surveillance et de répression. Le cas de Bahreïn est significatif. Face à la contestation contre la monarchie (tenue par la minorité sunnite), le régime a pu compter sur ses alliés régionaux (dont l’Arabie Saoudite) et occidentaux (soutien tacite à travers un silence assourdissant) pour écraser le soulèvement né en 2011. Selon le Rapport mondial 2015 de Human Rights Watch, le gouvernement de Bahreïn continue dans sa stratégie d’oppression à l’encontre de défenseurs des droits humains et des membres de l’opposition politique et pacifique. Incapable de faire montre de toute ouverture, les autorités gouvernementales viennent de décider de déchoir arbitrairement 72 opposants de leur citoyenneté …
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