ANALYSES

La nouvelle force régionale décidée par l’UA sera-t-elle suffisante pour lutter contre Boko Haram ?

Interview
2 février 2015
Le point de vue de Philippe Hugon
A l’issue du 24e sommet de l’Union africaine, les principaux dirigeants du continent se sont accordés sur la création d’une force régionale composée de 7 500 hommes. Cette force peut-elle être efficace et suffisante pour lutter contre l’expansion de Boko Haram dans la région ?

Ce qui est important, c’est que l’Union africaine a voté le principe de 7500 hommes malgré les réticences du Nigeria, toujours très soucieux de préserver sa souveraineté nationale, et qui a pourtant fait montre d’une assez grande inefficacité dans la lutte contre Boko Haram.
On peut mentionner cependant quelques réserves. Premièrement, cette force n’a pour le moment pas de financement assuré, même s’il y aura vraisemblablement recours aux Nations unies pour ce faire. Deuxièmement, les forces régionales ne sont pas totalement équipées pour lutter contre Boko Haram. Elles sont constituées par des forces africaines de pays voisins du lac Tchad dont les plus efficaces sont les forces tchadiennes. Malgré quelques difficultés, ces dernières interviennent en coopération régionale avec le Cameroun, le Niger et le Nigeria qui est évidemment le premier pays concerné. Aujourd’hui, l’action menée est essentiellement militaire : pour exemple, la ville symbolique de Maiduguri n’a ainsi pas été prise par les djihadistes grâce aux forces en présence, et les combattants de Boko Haram sont par ailleurs visés par des bombardements. Or, la lutte contre Boko Haram peut être considérée comme une guerre asymétrique – malgré les moyens militaires dont dispose le groupe – au vu de sa capacité d’infiltration auprès de la population que celle-ci se passe par la violence ou par le prosélytisme. Ainsi celle-ci doit certes passer par une lutte contre leurs actes terroristes mais elle doit aussi se faire via un travail de renseignement auprès des populations qui ne se fera que par une connaissance du terrain et de la langue de Boko Haram (majoritairement le kanuri). Nous en sommes encore loin. Elle doit également s’opérer via le renseignement aérien ; or, seuls la France et les Etats-Unis disposent de ces capacités.

Etant donné les différents historiques qui opposent le Nigeria et ses voisins, pensez-vous qu’une action commune et concertée de ces pays sera possible ?

Effectivement, la coopération régionale est rendue très difficile parce qu’il y a des différents historiques entre ces pays notamment entre le Cameroun et le Nigeria. On peut par exemple prendre le cas de la péninsule de Bakassi, riche en pétrole, qui est revendiquée par ces deux derniers. On sait également que l’armée nigériane n’a pas une totale efficacité dans cette lutte contre le groupe armé et a commis des exactions ou des bavures auprès des populations. La coopération est donc difficile mais malgré tout nécessaire dans la mesure où le Nigeria a besoin de sécuriser notamment l’Etat de Borno et que ses pays voisins comme le Cameroun, le Tchad ou le Niger sont aujourd’hui concernés par les actions de Boko Haram.
Par conséquent, une coopération régionale s’impose comme une nécessité vis-à-vis d’un groupe d’une violence extrême qui veut instaurer un califat dans l’ancien royaume de Kanem-Bornou. Seule celle-ci, appuyée par la logistique de grandes puissances, peut avoir une efficacité puisque les seules actions nationales ne sont plus à la mesure de la lutte contre Boko Haram.

Les élections présidentielles et législatives nigérianes vont se tenir dans moins de quinze jours. L’issue du scrutin peut-elle avoir une incidence sur la lutte contre Boko Haram ?

En inversant un peu la question, l’action menée par Boko Haram s’inscrit dans le jeu des futures élections présidentielles. Boko Haram veut interdire la possibilité d’élections présidentielles par la non sécurité de l’Etat de Borno. Mais, d’un autre côté, Boko Haram est aussi utilisé par certains hommes politiques du Nord Nigeria pour montrer l’impuissance de Goodluck Jonathan, l’actuel président. Il y a donc actuellement une rivalité très forte entre les deux principaux candidats à ces nouvelles élections que sont Muhammadu Buhari (originaire du Nord) et Goodluck Jonathan (originaire du Sud), en sachant que jusqu’à présent, il y avait une règle d’alternance entre le Nord et le Sud à la tête de l’Etat fédéral. Boko Haram utilise ainsi le contexte actuel pour renforcer sa capacité de nuisance et, inversement, les élections seront une réponse politique qui permettront que ce soit un homme originaire du Nord ou du Sud d’agir dans un contexte qui ne sera pas lié à des élections.
Néanmoins, d’un point de vue ethno-régional, ces élections devraient plutôt donner une nouvelle fois la victoire à Goodluck Jonathan, qui devrait normalement bénéficier des voix des Ibos et des Yorubas. L’insécurité dans les Etats du Nord peut conduire à une forte abstention, lors des élections du 14 février, défavorable à Buhari. Ceci étant, il est évident que la manière dont se dérouleront les élections et leurs résultats auront un impact sur le groupe djihadiste. En tout cas, elles soulèvent des inquiétudes sur leur transparence et leur légitimité.
Sur la même thématique