ANALYSES

Le sport, outil de resocialisation ?

Presse
26 janvier 2015
Les attentats terroristes de janvier qui ont cruellement endeuillé la France ont suscité un sursaut national à la fois inédit et réconfortant. Ils ont aussi été suivis par de nombreux débats sur la société française, le rôle des politiques, des médias ou de l’école, la place de la religion, l’intégration etc. À l’évidence le vouloir-vivre ensemble pourtant puissamment ressenti le 11 janvier paraît fragile. Nous voulons insister ici sur le rôle que le club sportif peut jouer en ce domaine. Loin de nous de penser que le sport pourrait être une sorte de baguette magique qui résout tous les problèmes ; les frères Kouachi, qui ont commis le massacre de Charlie Hebdo, en ont fait et pourtant… Nous savons toutefois, par expérience et par témoignages, que le sport est un formidable instrument de rassemblement, de partage et de fraternité. Il est donc essentiel de reconnaître et de renforcer son rôle à un moment où tous les moyens doivent être mis en œuvre pour consolider l’esprit républicain.

Prenons deux exemples particulièrement significatifs venant de l’étranger : Singapour et Medellin. À Singapour, mégapole moderne où les incivilités sont peu nombreuses du fait d’une discipline stricte et acceptée, les réseaux sociaux ont peu à peu remplacé les relations humaines. On communique le plus souvent par l’intermédiaire de son téléphone mobile, de sa tablette ou de son ordinateur. En misant sur le sport, en organisant les premiers Jeux olympiques d’été de la jeunesse, les autorités ont su dynamiser la création de clubs et recréer du lien social et humain.

À Medellin, soumise au sinistre cartel qui porte son nom, la ville a parié sur le triptyque éducation-culture-sport pour changer la vie. En y consacrant des moyens importants (36 % du budget de la ville) et en menant une action de long terme, elle a engrangé les résultats. La violence et les incivilités ont reculé, le vivre-ensemble s’est amélioré et la vie quotidienne est plus agréable. Tout est donc affaire de considération et d’engagement : penser d’abord en termes d’investissement et non de charge.

Une récente enquête Ipsos a montré que un jeune Français sur trois ne fait pas de sport dans un club. Cette proportion est une moyenne, car elle est de un sur deux dans les quartiers populaires et de un sur quatre dans ceux qui sont plus aisés. Il faut s’alarmer de cette situation et s’interroger sur ses conséquences à long terme. Par le biais d’une cotisation, chacun peut devenir membre d’un club sportif et être en quelque sorte un copropriétaire. Sans être affichée, se crée ainsi une forme identitaire à travers l’appropriation de la cause, de l’histoire, du maillot et des couleurs, partagée par d’autres. Au-delà de la création identitaire, le club sportif est aussi un lieu de rassemblement, d’acquisition du sens des responsabilités et de l’effort, de la récompense du travail accompli. On fait du sport d’abord pour le plaisir, mais pour mieux en faire il faut respecter la règle et les autres. C’est donc à travers son expression encadrée, où chacun peut progresser, que le sport va permettre peu à peu l’acquisition de valeurs qui contribuent à la formation humaine.

Le sport est un exemple réussi de méritocratie républicaine. Le talent et le travail, qui ne sont rien l’un sans l’autre, y sont justement récompensés. Il est un facteur important de lutte contre les discriminations. Le club sportif reste l’un des rares endroits qui réunit ses membres au-delà des clivages sociaux, religieux, ethniques et culturels. Les jeunes et les moins jeunes s’y côtoient et se mélangent pour pratiquer une passion commune. Celle-ci les unit au-delà de leurs différences, le club évite l’isolement, on a besoin des autres pour s’entraîner, gagner ou tout simplement organiser une compétition qui est régulée et où l’affrontement obéit à des règles strictes et acceptées par tous. Il suffit d’ailleurs de regarder la composition des équipes de France pour constater qu’elles sont à la fois le reflet de la diversité et l’illustration du désir de vivre ensemble.

Fort de ses 180 000 associations, le mouvement sportif français n’a pas la prétention de se substituer à l’école ou aux parents, mais il peut consolider une démarche éducative, contribuer à la socialisation de jeunes en manque de repères, leur donner le sens des valeurs de l’effort. À chaque rentrée scolaire, il doit pourtant, et de plus en plus, multiplier les initiatives visant à recruter davantage de jeunes, alors que la démarche vers les clubs sportifs devrait être facilitée, surtout pour ne pas laisser la place à celles plus simplistes d’Internet ou des jeux vidéo. À l’heure du rassemblement, il faut aussi que les barrières tombent et que des ­synergies s’installent entre ceux qui agissent dans l’intérêt de la jeunesse. Il faut un vaste plan non seulement d’éducation mais aussi d’animation où chacun doit avoir sa place et contribuer ainsi à l’apprentissage de la citoyenneté.

C’est la réponse à apporter au communautarisme et à l’isolement, et l’école ne peut pas y répondre à elle seule. Investir sur le sport, la pratique sportive, l’encadrement dans les clubs, c’est aussi lutter naturellement contre les discriminations et promouvoir la fraternité. Combien de jeunes déboussolés ou sans repères ont-ils donné ainsi un sens à leur vie par la pratique sportive ? C’est cette quête de repères à laquelle le club sportif peut contribuer, qui constitue l’un des moyens les plus efficaces pour illustrer et mettre en pratique les valeurs de la République.
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