ANALYSES

Des Objectifs du millénaire pour le développement aux Objectifs du développement durable

Tribune
23 janvier 2015
Approuvée en 2000 par 193 Etats et par 23 grandes institutions mondiales de développement, la Déclaration du Millénaire et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont largement contribué à sensibiliser la communauté internationale à l’obligation de lutter contre l’extrême pauvreté dans les pays du Sud, sous toutes ses formes. L’approche a séduit par sa simplicité et son ambition. L’intérêt de la démarche est d’avoir introduit la mesure, donc l’évaluation régulière des performances, un outil pour peser sur les gouvernements.

La définition des huit OMD reposait sur la notion de trappe à pauvreté : si certains pays sont dans la trappe, ils ne peuvent s’en sortir sans un formidable apport d’aide, notamment dans les domaines sociaux essentiels. Pour chaque objectif des cibles à atteindre ont été fixés pour l’année 2015. Le bilan est contrasté selon les objectifs et les pays. L’amélioration générale de la situation est incontestable. En 1990, 43% des habitants de la planète vivaient avec moins de 1,25 dollar par jour. En 2010, ils n’étaient plus que 21%. En vingt ans, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté – les en-bas d’en-bas comme on dit à Kinshasa – est tombé de 1,9 milliard à 1,3 milliard alors que la population mondiale bondissait de 5,3 à 6,9 milliards. Cependant, une évaluation trop optimiste masquerait qu’aucun OMD n’a vu toutes ses cibles atteintes. La baisse de la pauvreté est en trompe-l’œil puisqu’elle est surtout le fait de l’Asie du Sud – et notamment de la Chine – et que malgré une amélioration des indicateurs, 870 millions de personnes souffraient de sous-alimentation et 6,9 millions d’enfants de moins de cinq ans mourraient chaque année. Si la population ayant accès à l’eau potable a augmenté, il n’en est pas de même pour l’accès à l’assainissement. Si de nombreux pays ont obtenu des résultats exceptionnels, d’autres, partant d’un niveau plus bas ont un plus long chemin à parcourir. Les contre-performances des pays les plus vulnérables, pourtant visés par l’aide au développement, sont les plus évidentes. En Afrique subsaharienne, 48% de la population vivait en 2015 avec moins de 1,25 dollar par jour. Et les inégalités sociales ont progressé à l’intérieur de presque tous les pays.

S’ils ont permis de préparer les esprits, d’attaquer de front certains problèmes de développement et de fixer des points de repères utiles, les OMD ont mis l’accent sur les symptômes davantage que sur les causes. Le paradigme des OMD est en réalité fragile et réducteur. En se centrant sur le seul « social » perçu en statistique comparative (avant/après), ils ne précisaient pas les moyens (politiques, mesures, financements) nécessaires pour parvenir aux objectifs définis en 2015. Le processus d’élaboration des réformes requises n’étant pas précisé, il n’était pas possible de faire la distinction entre ce qui serait la « bonne » pratique et la « mauvaise ». Une politique de scolarisation massive peut se faire selon diverses méthodes et ne dit rien des apprentissages effectivement acquis. Plus globalement, un gouvernement autoritaire peut réduire de moitié le taux de pauvreté en privilégiant un groupe – ethnique ou régional – contre les autres, avec un résultat formellement meilleur qu’un gouvernement qui tente de faire participer démocratiquement la population à la recherche de solutions pérennes.

Préparés sur la base d’une longue concertation impliquant pendant deux ans de multiples acteurs, les Objectifs du développement durable (ODD) qui vont être adoptés en septembre 2015 par les Nations unies ont une vocation universelle qui transcende le clivage Nord-Sud, avec des « ambitions partagées pour un avenir commun » (all the voices). Alors que les OMD qu’ils remplacent, étaient des « objectifs pour les autres », les ODD seront des « objectifs pour tous », le Nord y compris. L’ambition est colossale : « mettre fin aux fléaux immémoriaux de l’extrême pauvreté et de la faim plutôt que de continuer à détériorer notre planète et à laisser d’intolérables inégalités créer du ressentiment et semer le désespoir » (Rapport du SG des Nations unies, décembre 2014, p.3). Dans un horizon allant jusqu’à 2030, une série d’objectifs globaux (17 proposés par les experts) sont énoncés, assortis de cibles (169) dessinant chacun les composantes d’un nouveau développement universel, intégré et fondé sur les droits de l’homme et respectueux de l’environnement.

L’approche combine plusieurs idées :
> « ne laisser personne en arrière », achever la lutte contre la pauvreté extrême, celle du dernier quintile, et pour cela « terminer le travail » engagé depuis 2000 avec les OMD ;
> définir des « planchers individuels» constitués d’un ensemble de droits et de services auxquels doivent avoir accès, à terme, tous les individus sans exclusion, éducation, santé, sécurité alimentaire, étendus à d’autres sujets comme l’énergie et la protection sociale ;
> sauvegarder l’environnement et combattre les causes du dérèglement climatique ;
> établir des « plafonds collectifs » prenant en considération dans chaque domaine des limites imposées par la nature et la capacité des technologies disponibles à les faire reculer et à créer des emplois ;
> enfin renforcer les capacités de mise en œuvre et s’appuyer sur des institutions efficaces, redevables et ouvertes.

L’élargissement de la matière à tous les domaines et la manière négociée de définir les ODD a fait craindre de subir le « syndrome de l’arbre de Noël » – chacun y trouve son compte ! S’ils sont atteints, les ODD conduiront construire une planète sans pauvreté, sans famine ni malnutrition, sans mort évitable des enfants de moins de cinq ans, sans VIH-Sida, tuberculose, paludisme et autres maladies tropicales négligées, sans discrimination de genre et de race. L’accès à l’eau potable sera universel et l’assainissement étendu, l’accès à la santé reproductive, à la couverture sanitaire, à l’électricité, au transport et à l’habitat seront aussi universels. Le travail des enfants et l’esclavage n’auront plus cours. Les pays les moins avancés seront deux fois plus industrialisés qu’aujourd’hui. Les inégalités seront atténuées et dans tous les pays, le revenu des quatre premiers déciles de la population croîtra plus vite que la moyenne domestique. Les limites planétaires seront respectées, l’appauvrissement de la diversité biologique sera stoppé, la désertification et la surexploitation des terres recevront des solutions appropriées.

L’ambition est mobilisatrice mais elle n’a de vraisemblance et de portée que si à l’énoncé de chaque objectif sont associés des politiques pour y parvenir, des financements pour les supporter et des indicateurs pour en évaluer les résultats. Sans ces trois éléments, il est inapproprié de parler d’objectifs crédibles.

Quelles politiques avec quelles institutions ? L’exercice des ODD n’entre pas dans le détail du « comment » parvenir aux objectifs mais il est clair qu’il ne peut trouver sa pertinence que s’il repose d’abord sur le renforcement des capacités locales dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques appuyant la réalisation des ODD, sur la participation des acteurs à la base et des modalités de partenariat appropriées, et aussi sur la R&D, la capitalisation des actions et le partage des informations et des connaissances.

Quels financements ? Les estimations des besoins financiers liés aux ODD, le « post 2015 », se chiffrent en dizaines de trillons de dollars. Il est clair que la réalisation des objectifs arrêtés ne pourra pas être financée par une source unique. L’aide au développement – même avec la réalisation de l’engagement international, devenu incantatoire, d’une contribution à hauteur de 0,7% du PIB – est loin de répondre aux besoins et doit être concentrée sur les pays les plus vulnérables. Les ODD supposent de faire intervenir une pluralité de sources de financement du développement: nationales publiques et privées, internationales publiques et privées.

Quels indicateurs de résultats ? Les cibles doivent être quantifiables afin de mesurer les résultats obtenus, ce qui suppose l’acquisition d’une nouvelle connaissance statistique, partagée et uniformisée, demandant un effort important de tous les Etats pour améliorer leurs instruments et adopter des standards communs.

Le caractère volontariste des ODD est transparent : « le statu quo n’est pas une option ! ». L’exercice relève aussi de l’unanimisme (« un pacte universel qui nous rassemble tous ») de bon aloi au sein du système des Nations unies. Derrière le discours sur les effets ambivalents de la mondialisation (avec d’un côté « son cortège de progrès extraordinaires » et de l’autre « ses injustices criantes et son attitude irresponsable envers l’environnement ») et sur la « transformation » nécessaire porté par les ODD, il n’y a pas véritablement d’interrogation sur les mécanismes du modèle d’accumulation et de régulation dominant, qui pourtant ont conduit les hommes à subir tant d’inégalités et la planète à supporter tant de risques systémiques. Les ODD sont politiquement compatibles avec la mondialisation, sous réserve d’en corriger les excès et les déviances.