ANALYSES

Allemagne : « Pegida rassemble les déçus d’une prospérité mal partagée »

Presse
6 janvier 2015
Apparu à l’automne en Allemagne, le mouvement Pegida, acronyme pour « Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident » connaît un succès croissant outre-Rhin. Les participants aux « Manifs du lundi » organisées par Pegida sont passés de quelques centaines à sa création, à 18 000 le 5 janvier à Dresde (Saxe, ex-Allemagne de l’Est). Les explications de Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des droites radicales.

Avez-vous été surpris par l’ampleur prise par le mouvement Pegida?

Oui. Tout le monde a été surpris de l’importance des cortèges réunis à l’appel de Pegida. Il y a bien eu, dans les années 2000, une tentative similaire à Cologne (ouest) avec la création d’un groupuscule anti-islam, Pro-Köln (« Pour Cologne »). La formation a même obtenu 2 conseillers municipaux en 2004. Mais leurs manifestations n’ont guère dépassé les 2000 participants et ont fini par s’essouffler.

Il y a sans doute une explication locale au succès des rassemblements de Pegida à Dresde ?
Les appels à manifester trouvent en effet un écho particulier à Dresde, parce que cette ville est le lieu chaque année en février d’un rassemblement néonazi pour commémorer les bombardements alliés. Ces manifestations réunissent 5 à 7000 néonazis venus de toute l’Allemagne. Mais les rassemblements du lundi sont d’une autre nature. Ils sont le fruit d’une mobilisation plus locale, drainant des manifestants depuis les petites villes des alentours. Les néonazis ne constituent sans doute pas plus d’un tiers des manifestants. Des électeurs de l’AfD et de la CDU se joignent probablement à ces protestations.

A Dresde comme dans les autres villes, Pegida s’appuie aussi sur des hooligans, notamment les HoGeSa -Hooligans contre les salafistes, à Cologne, les Faust des Ostens -Poings de l’est- et les Hooligans Elbflorenz -Hooligans de la Florence de l’ Elbe, surnom de Dresde. Ces groupes ont été créés sur le modèle de l’English defense league fondée par des jeunes blancs venus des milieux des stades, dans les villes à forte population musulmane. Leur violence a empêché leur expansion. C’est sans doute le défi de Pegida aujourd’hui ; canaliser ces hooligans s’il veut faire durer le mouvement.

La Saxe est pourtant une région où le nombre d’immigrés et de musulmans est très faible…
La présence physique d’immigrés n’a jamais été liée à l’ampleur du succès de l’extrême droite. Cela a été démontré par de nombreuses études, notamment en France. C’est l’image que l’on se fait de l’étranger qui compte.

Comment expliquer l’essor de Pegida?

Cette mobilisation s’exprime en Allemagne dans la rue parce qu’il n’y a pas de parti politique capable de capter ces tendances. En France, le Front national offre un débouché à ces préoccupations. Le parti d’extrême droite allemand NPD est beaucoup trop radical pour cela. Il a bien gagné un siège de député aux dernières européennes, mais seulement grâce à un scrutin proportionnel intégral. Cet élu n’a obtenu que 300.000 votes, 1% des voix. Depuis quelques temps, le mouvement anti-euro Alternative pour l’Allemagne (AfD) tente de reprendre à son compte les thématiques anti-islam et anti-immigration soulevées par Pegida ; il s’est joint aux manifestations, mais il n’en n’est pas à l’origine.

Mais pourquoi maintenant ?

Ce n’est pas très clair. L’ex-Allemagne de l’Est n’a pas rattrapé l’écart de développement avec l’Ouest. Et le miracle économique allemand tant vanté a ses laissés pour compte. Le salaire horaire des jeunes est extrêmement bas, le nombre de travailleurs et retraités pauvres particulièrement élevé. Les manifestations du lundi réunissent sûrement les déçus d’une prospérité mal partagée, confrontés à la crainte de la transformation de la société.
Les démonstrations médiatisées d’un groupuscule salafiste dans les rues de Wuppertal dans l’ouest du pays en septembre ont aussi choqué. D’autant plus qu’il concernait des Allemands de souche. L’Allemagne découvre que des dizaines de ses ressortissants ont rejoint Daech (le groupe Etat islamique). Et ce, dans un pays qui n’a pas de tradition multiculturelle. Jusqu’à récemment, les travailleurs immigrés turcs étaient considérés comme des « travailleurs invités » (Gastarbeiter). Leurs enfants bénéficient du droit du sol depuis moins de quinze ans.
A cela s’ajoute la multiplication de livres sur l’arrivée de l’islam dans la société allemande, dont ceux de Peter Roman Scholl-Latour, auteur à succès. Le pamphlet anti-immigrés de Thilo Sarrazin, L’Allemagne court à sa perte, publié en 2010, a aussi déclenché quelque chose qui se cristallise aujourd’hui.

Faut-il il y voir aussi un début d’usure du pouvoir d’Angela Merkel ainsi que la fissuration du système des deux grands partis? La réaction de la chancelière a en tout cas été remarquable, dénuée d’ambiguïté. Elle devrait dissuader certains électeurs conservateurs tentés de se joindre aux manifestations. Le cadre juridique allemand très strict devrait par ailleurs empêcher le basculement dans la violence de ces mouvements.

Sur quoi peuvent déboucher ces protestations?

Il encore tôt pour le dire. Cela peut insuffler de nouvelles thématiques reprises, capitalisées par l’AfD. Mais on peut également assister à une évolution similaire à celle de la Manif pour tous en France. Un mouvement d’ampleur qui a pourtant fini par s’essouffler.
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