ANALYSES

« La réponse viendra en sortant du déni »

Presse
9 janvier 2015
Vous tenez une rubrique à «Charlie Hebdo», c’est quoi l’esprit «Charlie Hebdo»?

Je ne partageais pas toutes les orientations de Charlie Hebdo, en particulier la critique de la religion que je ne considère pas comme une aliénation, puisque je suis moi-même juif pratiquant. J’estimais certaines caricatures inutiles, mais c’est leur droit, c’est le langage de la satire. Elle n’épargnait personne. C’est irrespectueux, irrévérencieux. Mais s’il y avait eu un seul islamophobe, je n’aurais pas continué. Si la ligne ne change pas, je continuerai d’y collaborer pour toucher un autre public. C’est un travail indispensable pour traiter des questions de l’identité et de la radicalité.

Ce carnage n’amène-t-il pas de l’eau au moulin du Front national?

On parle de citoyens français. Ce sont les enfants d’un terrorisme domestique comme pour les attentats de Londres (2005). Ce ne sont pas des migrants; on ne peut donc pas traiter cette question comme un simple problème migratoire. Ensuite, quand Marine Le Pen parle de réintroduire la peine de mort, je doute qu’elle ait le moindre effet dissuasif. On a affaire à des barbares qui souhaitent mourir. C’est une illusion de croire que la peine capitale puisse apporter une réponse.

L’heure est à l’union nationale, mais les meurtriers pourraient bien réussir à diviser la société française, ce qui est leur but.

Nous avons un problème de polarisation et non de division. Mais cette polarisation peut devenir demain identitaire avec, d’un côté, des Français musulmans montrés du doigt, et de l’autre, des Français non musulmans qui verront dans tout musulman un terroriste. Mais de quoi parle-t-on lorsqu’on dit musulman? Il y a une guerre des mots.

Le modèle républicain français est-il menacé?

Notre modèle est particulier, il ne se divise pas en communautés. Hier, j’entendais Philippe Val [ancien directeur de Charlie Hebdo] s’adresser à la communauté musulmane. Mais où va-t-on? Le même homme luttait autrefois contre le communautarisme. Il suit une évolution de la société française de plus en plus communautaire. C’est une évolution folle.

Que faire contre les risques de récupération politique?

La réponse viendra en sortant du déni. Oui, ces attaques ont un lien avec l’islam, mais une forme spécifique: l’islam radical.

Cet islam radical s’explique par l’absence de formation des imams. Trop d’imams sont formés à l’étranger ou ont des liens avec des pays étrangers (Maroc, Algérie, Arabie saoudite). L’islam de France n’a pas réussi à couper le cordon ombilical. Il est temps d’avoir des imams français, formés en France et parlant français. Ce sera bien plus efficace que de surveiller les lieux de culte. La France a par ailleurs trop longtemps laissé le champ à l’islamisme considéré comme instrument de contrôle social pour compenser le retrait de l’Etat. Tout cela nous explose à la figure.
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