ANALYSES

Rapport du Fond des Nations unies pour la population : quelles nouvelles pour l’Afrique ?

Interview
24 novembre 2014
Le point de vue de Serge Michailof
D’après le rapport du Fond des Nations unies pour la population (FNUAP), la réduction du taux de fécondité va constituer un accélérateur pour l’économie du continent africain. Partagez-vous cet optimisme ?

Il est exact que la réduction du taux de fécondité représenterait un important facteur d’accélération de la croissance économique par habitant. Rappelons que malgré une croissance de 5 % – que nous pourrions à juste titre leur envier -, les pays sahéliens, dont le taux de croissance démographique est de l’ordre de 3,5 %, auront besoin d’environ 45 ans pour doubler leur revenu par habitant…
Malheureusement, les taux de fécondité sur le continent africain ne suivent pas le modèle classique, qui veut qu’une baisse de la mortalité soit suivie d’une baisse de la fécondité. Au contraire, il semble bien que le taux de fécondité, y compris dans les pays africains les plus urbanisés et développés, ait tendance à stagner autour de 4 enfants par femme. La moyenne se situe encore à environ 4,7 pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne et dépasse 7 pour les pays les plus pauvres et ruraux comme le Niger et le Tchad. L’Afrique peine ainsi à engager sa transition démographique. Ce point est inquiétant car la très forte croissance et la jeunesse exceptionnelle de la population pèsent lourdement sur les budgets sociaux des Etats en particulier en matière d’éducation et posent de redoutables problèmes d’emploi.



Le rapport met également en corrélation jeunesse et dividende démographique à même d’enclencher un cercle vertueux d’expansion économique. Vous vous êtes vous-même interrogé dans une note co-rédigée avec Pierre Jacquemot sur la réalité de l’insertion de cette jeunesse sur un marché du travail en difficulté. Quels enjeux cette jeunesse constitue-t-elle pour l’Afrique ?

Le dividende démographique, dont on nous rabat actuellement les oreilles sur l’Afrique, reste bien théorique au vu des difficultés rencontrées par les jeunes pour s’insérer sur le marché de l’emploi. L’agriculture, qui serait dans le court terme le principal pourvoyeur d’emplois potentiels, est largement délaissée, tant par les pouvoirs publics locaux qui ne consacrent à ce secteur que des montants ridicules sur les budgets nationaux, que par les donateurs internationaux, qui n’ont même pas fait figurer cette question parmi les objectifs du millénaire. Elle crée par conséquent peu d’emplois et pratiquement pas d’emplois qualifiés.
Les emplois créés par les booms pétroliers et miniers sont marginaux. La création d’emplois dans les services est quant à elle limitée par le gonflement excessif des bureaucraties et la faiblesse des créations d’emploi dans le secteur des technologies de l’information. Quant à l’industrie, qui devrait être le grand pourvoyeur d’emploi, il s’agit de noter sa stagnation voire sa régression sur une longue période puisque la part de la valeur ajoutée par le secteur manufacturier en Afrique a diminué ces 20 dernières années, pour s’établir à un niveau très faible de l’ordre de 10 % du PIB. Au total la croissance africaine reste bien superficielle en ce qu’elle ne crée pas d’emplois à la mesure du défi démographique actuel. Nous avons là une véritable bombe sociale et politique en cours de constitution.



Ce changement démographique va nécessiter de sérieuses adaptations et investissements. Quelles sont les clés de ces investissements futurs pour s’adapter à ces changements selon vous ? Le continent africain a-t-il les ressources pour faire face à ces défis ?

Ce n’est certainement pas de ressources dont manque le continent africain. Ce sont par contre les politiques sectorielles adaptées qui font défaut, en particulier pour assainir l’environnement des affaires, redynamiser l’agriculture paysanne, etc. L’Afrique a montré par le passé qu’elle savait balayer devant sa porte et a su mettre en œuvre, depuis la fin des années 90, des politiques macroéconomiques raisonnables qui, combinées avec les prix élevés des matières premières, expliquent pour une bonne part les chiffres flatteurs de croissance économique. Or ces politiques sectorielles sont difficiles à mettre en œuvre car elles remettent en cause à la fois des équilibres politiques complexes entre villes et campagnes et des économies largement fondées sur des rentes que les groupes dirigeants se sont appropriés.
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