ANALYSES

Accord sur le nucléaire : quel jeu joue joue vraiment Téhéran en soufflant le chaud et le froid ?

Presse
14 novembre 2014

L’ayatollah Ali Khamenei appelle à la destruction d’Israël sur Twitter, alors même que des négociations sont engagées sur le nucléaire iranien et que les sanctions économiques pourraient être levées en cas d’accord. Barack Obama va même plus loin, il tend la main à l’Iran dans la lutte contre EIIL en cas d’accord sur le nucléaire selon le Wall street journal. Quel est le jeu (double) l’Iran ? Et pourquoi ?


Ce n’est pas un fait nouveau que les conservateurs les plus radicaux en Iran (dont Ali Khameini) fait partie, contestent la légitimité de l’Etat d’Israël. On peut noter par ailleurs qu’Ali Khameini propose un referendum pour régler cette question et non pas des moyens militaires.


Le soutien à la résistance armée à Israël est également un leitmotiv fréquent chez les plus radicaux en Iran.


Je pense qu’il n’est pas très honnête de résumer la politique étrangère de l’Iran à un tweet du Guide. Il est vrai que le Guide a le dernier mot, notamment en matière de politique étrangère. Toutefois, le Guide essaie surtout à travers ses avis de prendre en compte l’ensemble des positions exprimées par les différents courants ainsi que par tous les groupes d’experts travaillant sur ces questions. En résumé, le Guide tire sa légitimité de sa capacité à faire la synthèse entre toutes ces positions (on peut lire à ce sujet l’excellent dossier de The Economist du 1 au 7 novembre 2014 « The Revolution is over »). Ceci signifie qu’il existe une certaine diversité des opinions en Iran sur tous les sujets et notamment sur la politique à adopter vis-à-vis d’Israël. La ligne directrice du régime est évidemment une opposition frontale à Israël depuis la révolution de 1979 mais cette ligne peut évoluer selon les rapports de force et les circonstances. En 2003, après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, l’Iran a proposé à ces derniers de négocier sur tous les sujets, y compris sur la possible coexistence d’un Etat palestinien et d’un Etat israélien. Le gouvernement américain à l’époque n’a même pas daigné répondre… (les lecteurs intéressés peuvent voir à ce sujet sur Youtube le remarquable documentaire de la BBC Iran and the West – part 3). Depuis l’élection de Rohani, le gouvernement iranien a pris soin de se démarquer des déclarations antisémites de Mahmoud Ahmadinejad (en souhaitant par exemple le nouvel an juif). Par ailleurs, si les condamnations d’Israël ont été unanimes en Iran durant la dernière guerre à Gaza, on peut noter que l’Iran ne s’est pas lancé dans une diatribe radicale contre Israël (comme l’a fait Erdogan par exemple).


Il n’est également pas juste de mettre sur le même plan le tweet de Khameini et la lettre d’Obama. Il y a un consensus en Iran entre toutes les factions sur la dangerosité que représente l’Etat Islamique. Et l’Iran est le seul pays dans la région qui est effectivement engagé dans une lutte militaire contre l’Etat Islamique en Irak et en Syrie, où ils ont envoyé des conseillers militaires. On sait d’ailleurs que c’est notamment cette réalité qui a poussé l’Iran et les Etats-Unis à recommencer à discuter ensemble depuis mars 2013. Je suppose que l’Iran et les Etats-Unis qui ont tous les deux envoyé des conseillers militaires qui aident l’armée irakienne, ont pu commencer à échanger des informations sur l’Etat Islamique. La lettre d’Obama est dans cette logique.Tout le problème maintenant est d’arriver à officialiser cette relation …On a l’impression que du côté américain, on privilégie pour l’instant des relations « secrètes » avec l’Iran plutôt qu’une alliance au grand jour (Les Etats-Unis ont ainsi refusé d’inviter l’Iran à la conférence de Paris visant à créer une coalition militaire contre l’Etat islamique). Le gouvernement américain doit gérer ce début de normalisation de ses relations avec l’Iran tout en évitant d’indisposer le camp républicain des faucons anti-Iran ainsi que ses alliés traditionnels comme l’Arabie Saoudite et lsraël. Le schéma est un peu semblable en Iran où un certain nombre de courants conservateurs restent opposés à une reprise des relations avec les Etats-Unis. Ces courant tirent à boulets rouges contre la politique étrangère d’ouverture menée par Rohani. Ceci signifie également que Khameini qui a forcément autorisé la reprise du dialogue avec la Maison Blanche, doit aussi tenir compte de cette opposition au Grand Satan. Il n’empêche qu’un débat est ouvert en Iran au sujet des relations avec les Etats-Unis, ce qui est en soi une évolution majeure après 30 ans d’anti-américanisme.


Pourquoi ne pas saisir l’opportunité offerte par les Etats-Unis, sachant que la levée des sanctions économiques représente une manne économique importante en termes d’exportation ?


Je le répète, il ne faut pas tirer de ce tweet la conclusion que l’Iran a arrêté de discuter avec les Etats-Unis. Par exemple, en ce qui concerne les négociations sur le nucléaire, l’Iran et les 5+1 (dont les Etats-Unis) sont dans une négociation intense depuis près d’un an. Ces négociations sont même actuellement très intenses car on approche de la date butoir (24 novembre 2014). Il faut d’ailleurs noter que depuis le début de ce processus, l’Iran a tenu ses engagements, en arrêtant d’enrichir l’uranium à un niveau supérieur à 5 %.


Ceci signifie qu’il est encore possible qu’il y ait un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les 5+1. On peut rajouter que c’est une erreur de voir ces négociations comme résultant simplement des sanctions. C’est d’abord la société iranienne qui, en élisant Rohani, a choisi la voie de la diplomatie pour régler la question du nucléaire. C’est d’ailleurs une erreur de croire que les autorités iraniennes cèderont sur tout car elles veulent la fin des sanctions. Les sanctions pèsent sur l’économie mais l’économie iranienne continue de fonctionner.


Mitt Romney a sévèrement critiqué la lettre d’Obama à Ali Khamenei. L’arrivée au Congrès des républicains et faucons pro israéliens peut-elle constituer une nouvelle embûche dans l’avancée des négociations ?


C’est évident que ce changement de majorité dans les deux chambres peut peser sur la politique iranienne d’Obama.


Si il y a un accord sur le nucléaire avec l’Iran, les républicains peuvent décider de maintenir les sanctions en place ou même d’en voter des supplémentaires, en estimant qu’Obama est trop conciliant avec l’Iran. Dans ce cas, ils courent le risque, face à un accord qui apparaîtrait historique, d’apparaître comme ayant une stratégie de nuisance sans véritablement être capables d’apporter des solutions (les seules solutions étant proposées par ce groupe étant des sanctions supplémentaires ou la guerre …). On peut penser que les républicains les plus « réalistes » en matière de politique étrangère se sentiraient gênés face à une telle éventualité. Dans tous les cas, il reste aussi la possibilité à Obama d’utiliser, en cas d’accord, la possibilité de lui-même suspendre ces sanctions pour 2 ans (en utilisant le waiver). A terme, ce serait le nouveau président qui devrait gérer la suspension définitive des sanctions par le Congrès. Dans cette optique, si durant les deux prochaines années, l’Iran respecte les termes de l’accord, le Congrès pourrait accepter une levée définitive des sanctions.


Si il n’y a pas d’accord, ce groupe des faucons républicains pourrait se sentir renforcé dans sa volonté de mener une politique agressive et pro-israélienne vis-à-vis de l’Iran. Cependant, là encore, un certain nombre de républicains seraient à même de réaliser qu’une politique proposant des sanctions supplémentaires ou la menace d’une action armée serait sans issue. Une telle politique ne résoudrait pas les problèmes de fond (comme le nucléaire iranien) et ne ferait notamment que renforcer le camp des plus radicaux en Iran. Face à une politique agressive, ces groupes radicaux pourraient décider de répondre à l’agression américaine en utilisant la capacité de nuisance de l’Iran au Moyen-Orient. Dans ce cas, la région qui est déjà traversée par de multiples tensions, sombrerait dans l’instabilité totale. Un tel scénario serait également une catastrophe car il conduirait à la fin de tout espoir concernant une ouverture du système politique iranien, ce qui serait proprement désespérant pour la société civile iranienne …


Quelles sont les marges de manoeuvre des Etats-Unis ? Sanctions, frappes aériennes ou accord diplomatique… Cela peut-il dissuader un régime iranien qui semble bien décidé à poursuivre son programme d’enrichissement et d’armement nucléaire (même si ce dernier aurait dernièrement été gelé) ?


L’intelligence d’Obama (et de ses conseillers) a été de comprendre que les négociations sont la seule solution pour régler cette question du programme nucléaire iranien. Sur cette question du programme nucléaire iranien, on ne peut qu’être frappé par le courage politique et l’intelligence d’Obama. Quand on sait à quel point le régime iranien était, depuis l’affaire des otages américains, diabolisé dans la société et les milieux politiques américains, on peut percevoir à quel point il était difficile d’aller à contre-courant de ces tendances.

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