ANALYSES

Au printemps d’une étroite collaboration

Presse
30 octobre 2014

Située à la pointe nord de l’Afrique, la Tunisie est bordée par l’Algérie à l’Ouest et la Libye à l’Est. Cette centralité géographique n’a pas échappé à la France. L’incursion des montagnards kroumirs en territoire algérien en mars 1881 sert de prétexte à Jules Ferry pour envahir la Tunisie. Le bey de Tunis est contraint de signer le traité du Bardo (12 mai 1881), qui place le pays sous protectorat français. Après une révolte des tribus dans le centre et le sud de la régence (1881-1882), le résident général, Paul Cambon, impose au nouveau bey Ali ibn Husayn la convention de La Marsa (8 juin 1883), qui se traduira par une colonisation de fait. Si le mouvement nationaliste tunisien se structure dès le début du XXe siècle, notamment autour de la figure de Habib Bourguiba, il faudra attendre le 20 mars 1956 pour que le pays acquière son indépendance. Toutefois, le chapitre colonial ne sera définitivement clos qu’après la crise militaro-diplomatique née au sujet de la base navale de Bizerte (été 1961), et qui a causé près de 4000 morts côte tunisien et une vingtaine pour l’armée française.


Malgré cet ultime épisode de la décolonisation, l’indépendance n’est pas synonyme de rupture, loin s’en faut. Sorte de « despote éclairé », attaché à la fois à la culture occidentale et au tiers-mondisme le président Bourguiba entretiendra une relation ambivalente avec la France. Quant à l’ancienne puissance coloniale, la priorité stratégique donnée aux relations avec l’Algérie et le Maroc a relégué la Tunisie au second plan.


Du reste, Paris n’a pas joué de rôle clé lors du « coup d’Etat médical » fomenté par le Premier ministre Ben Ali pour déposer Bourguiba le 7 novembre 1987. L’ouverture politique et économique prônée par le nouveau régime a facilité le soutien de la France. Sa dérive dictatoriale – caractérisée par une double captation des pouvoirs politique et économique par le couple présidentiel et son entourage – n’a suscité nulle critique officielle de la part de la France, dont le soutien inconditionnel (ou presque) reposait sur deux idées-fictions : soutenir le « miracle économique tunisien » et faire barrage à la contagion islamiste. Une ligne suivie sans discontinuité par les présidents français successifs. En décembre 2003, lors d’un voyage officiel à Tunis, le président Chirac ira jusqu’à déclarer que « le premier des droits de l’homme, c’est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays ». Un raisonnement qui est à l’origine du malaise né de l’attitude de l’exécutif français aux premiers jours du soulèvement populaire (décembre 2010), qui aboutira in fine a la chute/fuite du président Ben Ali (14 janvier 2011). Après avoir raté le train de la révolution tunisienne, la France tente de s’affirmer comme le partenaire privilégie du processus de transition démocratique. Un volontarisme attesté par la multiplication des visites officielles bilatérales sur les plans présidentiel et ministériel. Au-delà des gestes diplomatiques, cette nouvelle page de la relation franco tunisienne revêt un enjeu économique et commercial.


Depuis 1959, date de la première convention commerciale et tarifaire conclue entre la Tunisie et la France, les relations commerciales sont étroites. L’instabilité et les incertitudes liées à la transition démocratique ne remettent pas en cause la densité et la diversité des liens économiques et commerciaux bilatéraux. Mieux, la remise en question du système de concurrence déloyale instauré par l’ancien régime ouvre de nouvelles perspectives pour les opérateurs économiques et investisseurs français.


En outre, la France demeure le premier partenaire commercial de la Tunisie, à la fois comme son principal exportateur (malgré un léger recul) et son premier importateur. La France compte aussi le plus grand nombre d’entreprises (essentiellement des PME) établies en Tunisie dans l’industrie manufacturière exportatrice et dans les services banque, assurance, grande distribution, distribution pétrolière, tourisme, et plus récemment dans les activités liées aux centres d’appels et à l’ingénierie informatique. De manière positive et innovante, les filiales établies sur place inscrivent davantage leur action, depuis la révolution, dans une logique de développement durable. On assiste également à une hausse des partenariats directs, dans le cadre de la coopération décentralisée, entre les pôles de compétitivité français et les technopoles tunisiennes. Bien qu’ayant affecté certains partenariats franco-tunisiens, la mise en vente des avoirs confisqués offre de nouvelles opportunités.


La nouvelle donne post-révolutionnaire tend à renforcer le rang de la France comme premier bailleur d’aide publique au développement et d’assistance technique en Tunisie. Si la promotion de la langue française (reconnue comme « langue étrangère à statut privilégié ») est au cœur de la coopération bilatérale, le contexte post-révolutionnaire l’a réorientée vers le soutien au processus démocratique et à la société civile, et le développement de la formation professionnelle (initiale et continue) des Tunisiens.


Enfin, la question de la pression migratoire et de l’immigration clandestine demeure un sujet sensible, qui fait l’objet d’une coopération approfondie entre les autorités nationales. Reste que la circulation des personnes ne doit pas être abordée sous les seuls angles sécuritaire et migratoire. La présence d’une importante communauté (franco-)tunisienne en France (plus de 500000 personnes) et d’une communauté française en Tunisie (estimée à 30000 personnes, dont de plus en plus de retraites qui s’installent dans les villes côtières et sur l’ile de Djerba) renforce la dimension humaine de la relation qu’entretiennent les deux pays. Preuve que l’avenir de la France et de la Tunisies inscrit plus que jamais dans un authentique projet d’intégration au sein d’un espace méditerranéen où les peuples sont liés par une communauté de destin.

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