ANALYSES

Crise Ebola : symptomatique des limites de l’humanitarisme occidental ?

Interview
22 octobre 2014
Le point de vue de Fanny Chabrol

L’OMS a récemment déclaré le Nigéria « Ebola free », après le Sénégal, félicitant notamment les politiques menées. Quelles sont-elles ?


Alors que 3 pays d’Afrique de l’Ouest (Libéria, Guinée et Sierra Leone) sont encore aux prises avec une épidémie qui se propage rapidement, le Nigéria et le Sénégal ont récemment été déclarés « Ebola free » par l’OMS, c’est-à-dire qu’aucun nouveau cas n’a été identifié sur leur territoire sur une durée correspondant à deux périodes d’incubation du virus, soit 2 fois 21 jours pour Ebola. Ce sont donc évidemment de très bonnes nouvelles.
Le Nigéria est parvenu à juguler l’épidémie à la source extrêmement rapidement : 20 personnes ont contracté le virus dont 8 sont décédées, ce qui donne un taux de survie de 60% (un taux supérieur à la moyenne). Ce faible nombre de cas peut s’expliquer par l’efficacité des mesures adoptées et mises en place : le Nigéria a instauré un contrôle à ses frontières sans les fermer. Il n’a également pas suspendu ses vols vers les pays les plus touchés mais a mis en place des postes de contrôle dans tous les aéroports. De plus, l’épidémie est survenue dans de relatives bonnes conditions. Le premier cas a ainsi été pris en charge dans une clinique privée, tandis que les autres cas ont concerné des soignants, une population éduquée et informée sur l’épidémie, ce qui a facilité une réponse rapide au niveau du « contact tracing » – retrouver tous ceux qui ont été en contact direct avec un patient atteint du virus Ebola –, et qui a concerné plus de 900 personnes. Cette victoire s’explique également par le fait que le système de santé nigérian est mieux doté et efficient dans la coordination des mesures de santé publique, de prévention, de traitement que ceux des autres pays touchés par la crise. La coordination nationale des acteurs économiques, politiques et institutionnels s’est également révélée efficace, et ce malgré le gigantisme du pays, qui pouvait laisser craindre le pire.


Comment comprendre la faiblesse de la réponse internationale depuis le début de l’épidémie, notamment celle de l’OMS ? Est-on en train de rattraper le retard ?


La réponse internationale a tardé à se mettre en place. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de reconnaître tout récemment qu’elle a sous-estimé le potentiel de flambée épidémique – en privilégiant un scénario cantonné à un faible nombre de cas –, ainsi que la situation sociale et politique des pays touchés. De plus, les pays qui la composent – l’OMS étant une organisation intergouvernementale – n’ont pas fait particulièrement pression au début pour infléchir la position de l’organisation, étant donné que l’épidémie concernait « seulement » des pays africains, comme lors des précédentes épidémies. Personne n’a envisagé une crise d’une telle ampleur, malgré les alertes précoces de Médecins sans Frontières (MSF) dès le mois d’avril dernier. L’OMS a tenté de combler le retard en mobilisant très fortement les Etats membres et la communauté internationale tout en jouant un rôle dans la coordination de la lutte contre le virus.


Comment peut-on expliquer la polémique naissante aux Etats-Unis sur l’absence de traitement disponible pour contrer le virus ?


Les débats au sujet d’Ebola sont actuellement très vifs aux Etats-Unis et tournent autour du fait qu’il n’existe actuellement aucun vaccin ou traitement au point. C’est une situation qui est plus propice à la panique qu’au débat. Il existe également une incompréhension de la population, qui ne comprend pas qu’aucun vaccin contre le virus ne soit disponible malgré la puissance pharmaceutique et scientifique du pays. L’approche qui a été privilégiée a été davantage de préparer le continent nord-américain à une attaque bioterroriste à partir de virus plutôt qu’à un scenario d’épidémie qui émergerait à partir d’un ou de quelques malades.
Depuis la découverte du virus en 1976, la recherche vaccinale comme thérapeutique a clairement été négligée par rapport à la préparation à une attaque terroriste ; on s’est finalement peu intéressé à Ebola. Aujourd’hui on peut imaginer qu’une bonne partie de l’investissement occidental futur va passer par la recherche clinique et biomédicale sur la recherche de vaccins. Il faudra regarder attentivement la façon dont les recherches et essais cliniques futurs seront menés sur le continent africain. Plus encore, il faudra veiller à ce que cette recherche ne prenne pas le pas sur la mobilisation humanitaire qui fait défaut aujourd’hui.


Cette crise ne démontre-t-elle pas les limites de l’« humanitarisme » occidental ?


Ebola révèle une crise de l’humanitarisme occidental dans la mesure où l’on assiste, face à un virus qui fait extrêmement peur et qui est très contagieux et extrêmement pathogène, à une démobilisation des volontaires et des potentiels humanitaires dans les pays développés. MSF apparaît comme l’unique exception et, au regard de sa force de frappe, peut continuer à envoyer des soignants dans des conditions de sécurité relativement bonnes. A ce jour, seules les puissances émergentes telles la Chine ou les pays du Sud (comme Cuba) ont fourni des soignants car les puissances occidentales craignent d’exposer leur personnel de santé dans un contexte aussi difficile, sans garantie de rapatriement dans leur pays si jamais les soignants contractaient le virus. La crise humanitaire et sanitaire engendrée par Ebola donne cependant à la communauté internationale l’opportunité de réaffirmer sa solidarité alors que l’Union européenne, les Etats-Unis et l’Afrique sont aujourd’hui toutes les trois touchées et menacées par le même virus.

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