ANALYSES

L’Algérie, entre révolte et paralysie

Tribune
10 octobre 2014

Après plusieurs jours de folles rumeurs évoquant la mort de Bouteflika, alimentées par les réseaux sociaux, le président de la République algérienne est apparu le 8 octobre au soir à la télévision ; il est apparu affaibli, inaudible et incapable du moindre geste. Loin de rassurer l’opinion, cette apparition a relancé le débat sur la capacité du chef de l’Etat à se maintenir à son poste et à exercer ses fonctions. Cette vacance, de fait, du pouvoir paralyse le fonctionnement de l’Etat et empêche l’Algérie d’engager les réformes économiques et sociales dont elle a grandement besoin.


La culture de l’émeute


Dans ce contexte, les Algériens les plus démunis se sont emparés de la rue, unique arène à leur disposition pour se faire entendre, pour tenter d’obtenir satisfaction à leurs revendications. Ce recours systématique à la rue comme moyen d’expression traduit une désespérance sociale que personne ne peut contrôler ; la plupart des médiateurs ont été éliminés, ou ont été débordés, par la radicalisation de pans entiers de la société. Ces comportements sont renforcés par la sensation que tout se délite au sein de la société, que tout part à vau-l’eau, que les pauvres sont encore plus pauvres et que la minorité dirigeante ne cesse de s’enrichir. Les scandales de corruption sont quasi quotidiens tandis que la gabegie et l’absence de stratégie claire ont définitivement détourné les Algériens de leurs élites politiques ou économiques. Les premiers réagissent tant qu’ils le peuvent pour tenter d’arracher des miettes de mieux être. Les seconds savent quant à eux que la confrontation débouchera immanquablement un jour ou l’autre sur des violences générales.
L’obsession du régime est d’éviter cette explosion. Le paradoxe, c’est que l’enfermement du pouvoir et son imbrication avec les oligarques obèrent toute perspective de rapprochement avec la population. L’attention avec laquelle le régime observe cette société est quasi scientifique, mais il ne l’écoute pas. Le seul intérêt de cette observation est de tenter de comprendre ce qui se passe, toutes velléités d’organisations collectives ou de fédérer des revendications étant immédiatement enrayées avec les innombrables moyens dont disposent les services de sécurité.


Déploiement de force


La moindre alerte provoque ainsi une réaction immédiate du régime, qui s’empresse de montrer ses muscles en déployant la police dans les villes et la gendarmerie et l’armée dans les campagnes et sur les routes. Depuis quelques jours, un nouveau dispositif est visible à Alger : des patrouilles de 3 policiers armés de pistolets-mitrailleurs sillonnent les rues de la capitale. Les barrages ont refait leur apparition, les places publiques et certains quartiers sont particulièrement surveillés. Naturellement, on assure qu’il s’agit d’éviter une reprise des attentats, une menace que fait peser Daesh depuis l’assassinat d’Hervé Gourdel. En réalité le clan Bouteflika veut à tout prix éviter d’être surpris par une éruption de violence.
Le vide institutionnel provoqué par la maladie du président, et l’absence du gouvernement, laisse cependant le champ libre à l’armée pour élargir son périmètre d’action : elle s’occupe désormais de la lutte contre le trafic de drogue et la contrebande, ce qui est très éloigné des prérogatives que lui confèrent la constitution. Le 8 octobre, le vice-ministre délégué à la Défense nationale et chef d’état-major des armées a lui-même annoncé les faits d’armes de ses hommes dans la lutte contre la criminalité organisée. Le ministre de l’Intérieur n’avait même pas été convié à ce raout, ce qui en dit long sur les intentions d’une armée que certains, dans les milieux laïcistes, appellent aujourd’hui à provoquer le « changement ». C’est peu dire que l’incertitude, qui règne à Alger, inquiète les milieux d’affaires et les hauts fonctionnaires qui voient se dégrader l’image de leur pays à l’étranger. Les Algériens attendent, eux, que se dénoue ce vaudeville.

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