ANALYSES

«La communauté internationale a fait acte de bonne conduite en votant la résolution»

Presse
18 mars 2011
Didier Billion - France24.com

Le Conseil de sécurité de l’ONU a voté un recours à la force pour imposer un cessez-le-feu à l’armée libyenne. Une résolution symbolique mais difficilement applicable, selon Didier Billion, spécialiste du Moyen-Orient à l’Iris.


Pourquoi la décision d’intervenir arrive-t-elle aussi tard ?

La communauté internationale était sous pression depuis plusieurs semaines. Voter aujourd’hui une résolution contre le régime, c’est une façon de dire "nous ne sommes pas restés passifs", tout en sachant qu’elle sera compliquée à mettre en œuvre. Car il est trop tard ! Mouammar Kadhafi n’a plus qu’une seule ville à reprendre – en l’occurrence Benghazi, la plus symbolique.


L’ONU ne devrait pas prendre le risque de pilonner les troupes loyalistes alors que ces dernières se trouvent sur la même ligne que les insurgés. Je pense d’ailleurs que les Chinois et les Russes – qui ont voté contre – n’ont pas eu recours à un veto car ils savent pertinemment que la résolution n’est pas applicable et qu’elle sert seulement à conférer le beau rôle à l’ONU.

De plus, la question de la "no-fly zone" est un peu vide de sens. Non seulement elle ne peut se mettre en place en quelques heures, mais, en plus, Kadhafi a utilisé son aviation seulement au début de l’insurrection. Depuis plusieurs jours, c’est surtout par voie terrestre que les troupes du colonel ont effectué leur contre-offensive.


Tripoli vient d’annoncer un cessez-le-feu. Quelle est, selon vous, la stratégie du régime ?

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le colonel Kadhafi n’est pas un détraqué. Il comprend très bien les rapports de force qui se jouent. Ressentant une très forte pression sur lui, il annonce un cessez-le-feu qui lui permet de gagner du temps en initiant des pourparlers. Il a beaucoup de cartes en main : il contrôle de nouveau la quasi-totalité de son territoire, il a repris les puits pétroliers… On ne peut donc plus l’obliger à partir. Nous ne sommes pas dans le scénario de l’après-Kadhafi, mais dans celui de l’après-insurrection.


Du point de vue du Conseil de sécurité, je pense que les discussions qui suivront ce cessez-le-feu auront pour objet d’éviter un bain de sang à Benghazi et de protéger la population d’un bain de sang.


Le Qatar et les Émirats arabes unis ont décidé de participer à une éventuelle intervention militaire. Que pensez-vous de cette implication ?

Le Qatar et les Émirats arabes unis sont des alliés proches de l’Occident. Leur soutien n’est pas surprenant. De son côté, la Ligue arabe – qui a longtemps plaidé pour une zone d’exclusion aérienne et souhaité jouer un rôle dans sa mise en place – a toujours ouvertement exprimé sa haine envers le régime libyen. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se range derrière le Conseil de sécurité. Mais ne soyons pas dupes ! Les pays arabes ont été ébranlés par les révoltes qui ont secoué la région : ils ont toujours peur que cette onde de choc se propage. Eux aussi s’achètent une bonne conduite pour montrer à leur peuple et à la communauté internationale qu’ils ne cautionnent absolument pas les atrocités de Kadhafi.


Le problème s’avère en revanche plus complexe pour les pays limitrophes de la Libye. La Tunisie, par exemple, a peur de représailles – insidieuses – si elle prend ouvertement parti contre Kadhafi. En effet, le colonel a été le seul dirigeant à soutenir ouvertement Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak jusqu’au dernier jour…

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