ANALYSES

« La Nouvelle-Zélande se sent méprisée par la France »

Presse
4 avril 2011
Pascal Boniface - Midi olympique
Vous dites qu’il n’existe qu’une seule superpuissance en géopolitique du football : le Brésil. Lui voyez-vous un équivalent dans le rugby?

Ce serait bien sûr la Nouvelle-Zélande. À une différence près la Nouvelle-Zélande, qui possède également un caractère attractif ne suscite pas la même sympathie que le Brésil On se console quand on est battu par le Brésil, pas quand on l’est par la Nouvelle-Zélande. Nos rapports avec elle sont moins développés. Le Brésil, aussi, est une superpuissance parce qu’il s’appuie sur une base démographique importante au contraire de la Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, la Nouvelle-Zélande n’est une superpuissance que dans le rugby, alors que le Brésil est en train de devenir une puissance par ailleurs. L’hyperpuissance de la Nouvelle-Zélande, qui n’a plus gagné la Coupe du monde depuis 1987 est plus marquée par la disproportion entre son bassin démographique et ses succès. Car on ne peut pas dire qu’elle écrase le rugby comme le Brésil écrase le football, ne serait-ce qu’en termes de palmarès.


Quel pays est aujourd’hui la Nouvelle-Zélande?

Malgré la mondialisation, il est encore éloigné, à l’écart des grands mouvements. Il se vit comme étant profondément occidental dans un univers lointain. L’obsession de la Nouvelle-Zélande, comme de l’Australie d’ailleurs, c’est de ne pas être à l’écart de la globalisation. Et le sport, les JO pour l’Australie, la Coupe du monde de rugby pour la Nouvelle-Zélande, est une façon de se rappeler au bon souvenir du reste du monde et de montrer que l’éloignement ne signifie pas une relégation qui interdit tout contact.


Un tremblement de terre a frappé Christchurch. Ce malheur peut-il compliquer le déroulement de la Coupe du monde 2011, au moins en matière de sécurité?

Comme partout, oui. L’éloignement fait que c’est un pays moins fragile en termes de sécurité. De toute façon, il y a maintenant une malédiction pour toutes les compétitions internationales. Ce sont des éléments visibles, les dépenses de sécurité sont importantes, qu’il s’agisse des jeux Olympiques d’hiver, de la Coupe du monde de football, des JO d’été, du Tour de France cycliste ou de la Coupe du monde de rugby. Si vous attirez l’attention du public, vous attirez aussi l’attention des trafiquants des groupes terroristes, et, dans un monde globalisé mais donc également fragilisé, le poste sécurité sera de plus en plus important. Ce n’est pas propre à la Nouvelle-Zélande, ni au rugby, mais bien à toutes les compétitions mondialisées. En termes de délinquance ordinaire, la Nouvelle Zélande est l’un des pays les plus sûrs du monde. Et malgré son affirmation occidentale, il n’est pas une cible stratégique. Mais l’occasion fait le larron. L’état d’esprit des puissances occidentales sur la menace terroriste à l’heure actuelle est de se protéger dès qu’il y a un doute. Et ce doute existera forcément.


Quid, aussi, des relations franco-néo-zélandaises ?

Depuis Greenpeace, la hache de guerre a été enterrée. Si l’affaire Bastareaud s’était passée en Australie ou dans un autre pays, les choses auraient pris moins de disproportions. La Nouvelle Zélande se sent être un petit pays méprisé par la France. La France y est vue comme une puissance arrogante qui est venue faire des essais nucléaires dans l’arrière-cour néozélandaise qui n’a pas accepté les demandes de faire cesser les essais ou d’aller les faire ailleurs. Et qui a fini par commettre une agression, avec l’attentat du Rainbow Warrior dans le port d’Auckland. Pour la Nouvelle-Zélande la France n’est pas automatiquement sympathique. Si la France a très souvent une réputation d’arrogance dans le monde, elle l’a quinze fois plus en Nouvelle-Zélande. Le pays est anglo-saxon, ce qui vient pimenter un peu plus cette rivalité. Et le fait qu’il y ait une rivalité dans ce qui est le point fort des Néo-Zélandais, le rugby, le seul sport ou, à ma connaissance, ils peuvent briller au premier rang mondial, vient encore ajouter à cette rivalité. Et puis, il faut préciser que, dans cette société, on ne ment pas. Il y a un moralisme, une morale, et des choses qui ne se font pas. C’est une société très auto-policée. L’affaire Bastareaud a donc été une piqûre de rappel du Rainbow Warrior. Encore une fois, se sont dit les Néo-Zélandais, les Français nous ont méprisé et nous ont menti.


Aviez-vous été surpris par l’ampleur prise par cette affaire ?

Il est sûr que les télégrammes diplomatiques ont dû chauffer. Peut-être que Bastareaud sera un jour un personnage de WikiLeaks. Les services diplomatiques ont dit attention, cette affaire ne peut pas être jugée comme mineure, comme une simple troisième mi-temps qui aurait un peu mal tourné. Psychologiquement, cela a été vécu de façon complètement différente, en Nouvelle-Zélande, pour les raisons que j’évoquais.


Le spectre de cette affaire planera-t-il cet automne lors de la Coupe du monde?

Tout dépendra de la sélection ou non de Bastareaud. S’il est sélectionné, il aura évidemment droit au rappel de l’affaire. Quand vous pouvez embêter un adversaire potentiel, est-ce que vous allez vous en priver ? Pour une partie de l’opinion publique, cet épisode reste gravé en mémoire. Certains, par conviction, d’autres, par habileté, ne manqueront donc pas de le rappeler.


La Russie participera pour la première fois au Mondial. Ce pays, seul nouveau venu cet automne, peut-il nourrir l’espoir d’un grand avenir sportif dans le rugby?

Dans le football, l’athlétisme, le tennis, c’est un pays qui renaît au sport, avec, en grande partie, l’Etat et les oligarques, qui ont remplacé le parti communiste. Pour les actuels responsables politiques, le sport est un moyen de santé publique, afin de lutter contre l’alcoolisme et contre la dénatalité. Il est aussi une façon de rayonner, d’accompagner la renaissance internationale du pays. Dans les années 90, le PNB russe a chuté de moitié, et la Russie est devenue un pays méprisé, vaincu. Poutine, aujourd’hui, a une vraie diplomatie sportive. Pour lui, si le rugby n’est pas prioritaire, il faut néanmoins le développer. Et le fait que la Russie participe à la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, où elle n’a pas une histoire très forte, est bien le signe qu’elle veut être présente partout.


En 1995, l’Afrique du Sud a remporté la Coupe du monde chez elle. Beaucoup d’observateurs ont dit à l’époque que, pour des raisons politiques, il ne pouvait en être autrement. Pensez-vous que la victoire de la Nouvelle-Zélande en 2011 soit inéluctable?

On soupçonne toujours le pays organisateur d’être un peu avantagé. Ce n’est pas toujours vrai. Néanmoins, ce qui s’est passé en Afrique du Sud en 1995 n’est pas exportable. Par rapport à la fin de l’apartheid et par rapport à la place du rugby dans la société sud-africaine et dans la relation entre les Blancs et les Noirs. On peut déplorer que, pour consolider la fin de l’apartheid, la France ait été privée d’une victoire dans la Coupe du monde. Si ce que l’on raconte est vrai, il n’était pas normal d’aider à ce point l’Afrique du Sud à gagner. D’ailleurs, il est dommage que le film Invictus ne rende pas justice de cela : la vérité n’est jamais mauvaise à  raconter. Je ne pense pas que, si l’Afrique du Sud s’était arrêtée en demi-finale, l’apartheid aurait été rétabli. La Nouvelle-Zélande n’a ni ce poids psychologique, ni cette importance historique Et puis, avec les moyens de communication moderne, le scandale mondial deviendrait tel que cela serait contre-productif.


La Coupe du monde se déroulera au Japon en 2019, pour la première fois dans un pays où le rugby n’est pas un sport majeur. Un pari risqué?

Le rugby a besoin d’étendre son horizon. Regardez l’attrait de la Coupe de monde rugby par rapport à avant. Je ne dirais pas qu’elle a éclipsé le Tournoi des 6 Nations, mais elle est maintenant la référence. Le rugby est confronté à ce phénomène : s’il ne croît pas, il risque de reculer. Pas de disparaître mais, en tout cas, de connaître des difficultés. Le choix du Japon est un choix intelligent, pertinent. Il sera un marchepied entre les nations traditionnelles du rugby et les terres vierges.


Le rugby de très haut niveau est pratiqué dans moins de dix pays. Comment analysez-vous cela ?

Il y a plusieurs explications. Tout d’abord, on ne peut avoir un sommet de la pyramide que si la base est large. Deuxième chose : pour jouer au rugby, il y a un besoin d’installations plus compliquées, plus coûteuses que pour le football. On peut difficilement jouer au rugby sur un terrain vague, sur la plage, dans la rue, tandis que l’on peut faire du football informel partout, sans équipement. Par ailleurs, le rugby a toujours été un sport de l’élite. Historiquement, il a été pratiqué pour se distinguer, par l’élite britannique. Or un sport d’élite ne cherche pas à faire du prosélytisme. Bien au contraire. Le football s’est développé parce qu’il est simple, parce que l’on peut y jouer partout et qu’il avait une volonté de faire du chiffre, de conquérir. Alors que le rugby a toujours voulu se protéger et pratiquer l’esprit de club d’entre soi, qui est incompatible avec un large développement et avec le fait que l’on cherche à sélectionner en disant qui peut adhérer au club, plutôt qu’à recruter au maximum. Un sport est devenu mondial. L’autre, globalement, s’est développé dans les places fortes de l’influence britannique, Argentine incluse.


Diriez-vous qu’il existe une géopolitique du rugby?

Oui, même si elle n’est pas la même que celle du football. Dans la mesure où le rugby est un sport particulier, par son développement géographique et par son non-développement géographique, il y a des éléments géopolitiques. Pourquoi le rugby est-il présent dans certains pays mais pas dans d’autres ? En raison d’arguments historiques et géopolitiques. Même si le rugby est un sport moins mondialisé que le football ou que l’athlétisme, il y a des bastions, des places fortes, et en même temps, des zones vides, qui restent peut-être autant de terres à conquérir. Il y a donc effectivement bien une géopolitique, en plein et en creux, du rugby.


Selon vous, le rugby court-il aujourd’hui derrière le football ?

C’est le sentiment qu’ont donné certains responsables du rugby pendant la Coupe du monde 2007. Je trouve que cela a été une erreur de positionnement. Le rugby s’est trop positionné par rapport au football en disant « nous, on a des vraies valeurs, pas vous ». Cela me paraît être une erreur de communication. Il y a de la place pour les deux sports. L’argent augmente dans le rugby et les reproches que l’on fait au football, on les fera bientôt au rugby. Ces deux sports créent du lien social. Ce n’est pas parce qu’il y a des joueurs qui font la gueule à Knysna que cela doit empêcher des gamins d’y jouer ensemble. Il y a eu cette tentation de la part des dirigeants du rugby qui sont peut-être un peu jaloux du poids du football. Mais personne n’a intérêt à se lancer dans ce genre de compétition. Avant, les gamins étaient rugby ou football. Ce n’est plus le cas aujourd’hui désormais, ils sont sport ou pas sport, et ils regardent aussi bien les deux à la télévision. Cessons d’opposer ces deux mondes qui ont des qualités et des défauts communs. Ce n’est pas parce que le football diminuera que le rugby montera. Le rugby peut très bien monter par lui-même. 

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