ANALYSES

« Le printemps arabe n’aura pas d’impact sur l’entrée de la Turquie dans l’UE »

Presse
9 mai 2011
Interview de [Alican Tayla->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=tayla], chercheur à l'IRIS, par Sophie Forcioli

Spécialiste de la Turquie à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Aliacan Tayla revient sur les révoltes des pays arabes et le rôle de la Turquie vis-à-vis de ses voisins.


Différents observateurs estiment que la Turquie est aujourd’hui dans une situation délicate vis-à-vis de ses voisins. Pourquoi?

Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, (l’AKP, Parti pour la justice et le développement) a mis en place une nouvelle stratégie diplomatique. Le mot d’ordre est «zéro problème» avec les pays voisins. Compte tenu de l’idéologie islamo-conservatrice de l’AKP, la Turquie a fait un pas en avant vers les pays arabes. Elle a renforcé ses relations avec la Libye, et plus encore avec la Syrie qui accueille de très nombreux ouvriers et travailleurs turcs.


La Turquie voulait jouer un rôle de médiateur régional, mais avec le "printemps arabe" le pays a dû laisser de côté les discours et les perspectives diplomatiques pour passer aux actions concrètes et aux prises de positions plus tranchées.


La Turquie doit donc choisir son camp?

C’est encore un peu tôt pour se poser cette question, on ne connait pas encore l’issue des révolutions arabes. Mais la Turquie a déjà dû revoir certaines de ses positions.


Elle s’était dans un premier temps fortement opposée à l’action de l’Otan en Libye en fustigeant, en particulier, l’action de la France. Le Premier ministre avait déclaré « la Turquie ne pointera aucune arme sur le peuple libyen ». A la suite d’échanges téléphoniques avec le président Obama, le gouvernement s’est montré moins radical et participe aujourd’hui au blocus maritime contre le régime de Kadhafi.


La question du choix se posera plus tard. Comment la Turquie qui avait commencé à tisser des liens avec les régimes en place, se positionnera-t-elle face aux nouvelles figures politiques de ces pays ? Pour l’instant, c’est flou.


Certains considèrent que la Turquie pourrait servir d’exemple pour ses voisins. Partagez-vous ce point de vue?

On a beaucoup misé sur cette opportunité, il y a quelques années. Mais c’était avant l’arrivée au pouvoir de l’AKP. L’ancien gouvernement s’inscrivait alors davantage dans un courant Kémaliste, quasi anti-arabe, tourné vers une idéologie occidentale.


Depuis 2002, la Turquie s’est ouverte aux pays arabes. C’est une très bonne chose qu’elle se rapproche de ses voisins. Mais certaines de ses prises positions sur la laïcité ou les restrictions électorales, comme la barre des 10% de suffrages pour être représenté à l’Assemblée nationale, pourraient remettre en cause cette fonction d’exemple.


Cette promiscuité avec les pays arabes changera-t-elle le regard que l’occident porte sur la Turquie, et celui de l’Union européenne en particulier ?

Avoir des relations calmes et apaisées avec les pays du monde arabe est un atout incontestable pour la Turquie vis-à-vis de l’Union européenne. Dans les années à venir, cette situation pourrait la rendre plus attirante, tant du point de vue politique, qu’économique et commercial.


Si la Turquie veille à entretenir des relations privilégiées et plus investies avec les pays arabes, elle ne rompt pas pour autant ses engagements occidentaux. Les événements récents ont par exemple réaffirmé son alliance avec les Etats-Unis.


Avec l’Union européenne c’est plus problématique. A ses débuts, l’AKP s’est beaucoup appuyé sur l’intégration européenne pour légitimer son arrivée au pouvoir.


Aujourd’hui le parti a acquis un électorat fidèle, et cet argument est de moins en moins évoqué. L’opinion publique turque a elle aussi peu à peu pris certaines distances vis-à-vis de l’UE. Le double discours européen, à la fois encourageant des institutions, et réfractaire d’Etats comme l’Allemagne et la France, passe de moins en moins en Turquie.


De ce point de vue, les récents développements du printemps arabe n’auront pas, à mon sens, un impact déterminant et catégorique sur l’entrée de la Turquie dans l’Union.

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