ANALYSES

Ben Laden : un risque de regain de tension entre le Pakistan et l’Inde

Presse
9 mai 2011
Olivier Guillard - NouvelObs.com
Peut-on désormais dire qui était au courant au Pakistan de la présence de Ben Laden à Abbotabad ?

– La certitude, c’est que si Ben Laden a passé ses cinq dernières années à Abbotabad, cela n’a pas été sans soutien. Car lorsqu’on s’appelle Ben Laden, qui plus est en étant actif dans l’organisation de la terreur, on ne reste pas sans un minimum de connexion, d’assistance et de concours, et pas seulement de la part de seconds couteaux. Ben Laden a bénéficié d’un soutien constant à un niveau non négligeable et il y a probablement des personnalités des services sensibles du Pakistan, à savoir l’armée et les services secrets ainsi que des politiques locaux, qui devaient, par nécessité, être au courant de sa présence.


Ce n’était pas une surprise d’apprendre que Ben Laden se trouvait sur le territoire pakistanais. Ce qui en était une, c’est qu’il résidait à seulement 50 km de la capitale Islamabad.


Est-il possible que Washington n’ait effectivement pas tenu Islamabad au courant de la préparation de l’opération ? N’est-ce pas plutôt un exercice de communication du pouvoir pakistanais ?

– Les deux hypothèses sont possibles. Mais ce qui me semble le plus probable, c’est que Washington a voulu maximiser les chances de succès de cette opération en minimisant le nombre de personnes au courant, en particulier au Pakistan. L’absence du Pakistan de la boucle lors de la préparation a sans doute été la clef de la réussite. Cette version me semble plus proche des faits que celle de la communication pakistanaise.


Quelle a été la réaction de la rue pakistanaise ?

– Pour la classe politique, les militaires, les services secrets, mais aussi l’homme de la rue, cette intervention, aussi réussie soit elle, est perçue comme la preuve que les militaires pakistanais ne sont maîtres chez eux – quoi qu’ils en disent. Elle apparaît comme une démonstration de l’incapacité du pouvoir politique pakistanais actuel.


Ce mécontentement populaire est relayé sans interruption par les médias. Il déstabilise un peu plus l’establishment pakistanais, qui est déjà confronté à une kyrielle de maux qu’on ne souhaiterait à personne : islamisation, talibanisation, économie totalement exsangue, tensions avec son voisin indien, attentats… La scène intérieure n’a pas eu de gain précis de la mort de Ben Laden, bien au contraire.


Cette intervention ne risque-t-elle pas de déstabiliser le pays ?

– Il n’est pas habituel au Pakistan de trouver des gens courageux susceptibles de critiquer l’institution militaire et ses services de renseignements qui sont redoutés et qui sont les garants définitifs de la décision politique dans ce pays. Depuis lundi dernier, on tire sur eux à boulet rouge, tandis que l’armée s’est contentée de répondre que ses services n’étaient pas omnipotents et que la CIA ayant mis dix ans pour retrouver Ben Laden, on ne pouvait pas leur demander l’impossible. La chose étant, on peut penser que face au discrédit, le gouvernement va courber l’échine et laisser passer l’orage. On ne doit pas s’attendre à un coup d’Etat militaire au Pakistan.


Peut-on redouter des conséquences plus largement dans la région ?

– Oui. Cette intervention militaire va provoquer son lot de tensions avec les Etats-Unis. Or quand il y a tension entre Islamabad et Washington, il y a tension parallèle avec New Delhi. Le regain de tension avec l’Inde va servir à désenfler un petit peu le mécontentement contre l’armée et le gouvernement. Islamabad risque de focaliser l’attention sur le Cachemire, où il risque y avoir quelques heurts, comme souvent en cette période de l’année. Le Pakistan devrait reprendre une route un peu chaotique dans le chemin de dégel emprunté avec New Delhi, qui a pris cette opération comme du pain béni. Tout ceci va être instrumentalisé par le pouvoir pakistanais pour détourner l’attention de ses manquements. 

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