ANALYSES

Israël se replie derrière un bouclier antimissile

Presse
30 juin 2011
Edouard Pflimlin - Le Monde diplomatique
Un « parapluie » antimissile pour se protéger des roquettes ennemies ? Tel est le projet israélien de « Dôme de fer » (« Kipat Barzel »), déjà opérationnel avec deux batteries déployées fin mars et début avril à Bersheeba et Ashkelon (1). Il est censé intercepter les missiles et roquettes de courte portée comme ceux qu’ont tirés des groupes palestiniens à partir de la bande de Gaza et le Hezbollah à partir du Liban.

Développé par la société nationale Rafael Advanced Defence Systems, « Dôme de fer », le projet de bouclier antimissile israélien, recourt à de petits missiles guidés par radar, capables d’anéantir en plein vol non seulement des roquettes de portée très courte, de quatre à soixante-dix kilomètres, mais aussi des obus d’artillerie et de mortier. Il a déjà été testé avec succès contre des Katioucha et des roquettes de 122 mm de type Grad, de portée inférieure à 30 km, prises au Hezbollah.

Selon le ministère de la défense, les deux premières batteries sont montées sur des camions et faciles à déployer le long de l’une ou l’autre des frontières israéliennes. Repérant les seuls engins capables d’atteindre le sol israélien, le système pourrait en intercepter simultanément plusieurs. Une batterie isolée suffirait à défendre efficacement une ville du sud d’Israël comme Ashkelon (cent mille habitants). Premier objectif : déployer le dispositif à proximité de la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. Puis, l’installer face au Liban où, selon les estimations du renseignement militaire israélien, le Hezbollah aurait stocké un arsenal de quarante mille roquettes.

Ce déploiement s’inscrit dans une démarche de protection « multicouches ». Un accord entre les Etats-Unis et Israël, signé à la fin du mois de septembre 2010, prévoit le développement d’un système de défense baptisé « Baguette magique » ainsi que de son missile « Fronde de David » (« Kala David »), une réponse aux missiles de courte portée (supérieure à 70 km mais inférieure à 250 km), aux roquettes de longue portée et gros calibres (les plus lourdes auraient des ogives d’une demi-tonne) et aux missiles de croisière. L’accord porte également sur la mise au point de l’intercepteur « Stunner », conçu conjointement par l’Israélien Rafael et l’Américain Raytheon.

Opérationnel depuis 2000 (soit neuf ans après le début de son développement), le système « Arrow » (« La flèche » ou « Hetz » en hébreu) protège Israël des missiles balistiques d’une portée supérieure à 250 km. Washington en finance la moitié du coût annuel. Le programme Arrow II a été développé par Boeing et Israel Aerospace Industries (IAI), à partir de 1995 pour éliminer les missiles balistiques conventionnels à plus longue portée, en particulier iraniens (d’une portée de plus de 1 600 km). Enfin, Tel-Aviv, craignant une attaque nucléaire de Téhéran, a cherché à développer un intercepteur opérant à plus haute altitude et doté d’une portée plus longue : « Arrow III ». En octobre 2007, les Etats-Unis et Israël ont établi un comité mixte destiné à en assurer la conception, confiée à Israel Aerospace Industries et Boeing. Lancé en 2008, Arrow III pourrait être testé cette année, pour un déploiement en 2014. Au total, avec les différents programmes, près de 422,7 millions de dollars seront déboursés par le Pentagone pour l’ensemble des différents systèmes antimissiles d’Israël (2), qui s’ajoutent aux trois milliards de dollars d’aide militaire américaine annuelle.

La guerre de l’été 2006 contre le Hezbollah et celle contre le Hamas dans la bande de Gaza en 2008-2009 ont fourni aux autorités israéliennes une justification à la mise au point de ces boucliers, notamment pour « Dôme de fer ». Pendant l’été 2006, les combattants chiites du Hezbollah ont tiré environ quatre mille roquettes contre le nord d’Israël, contraignant un million d’habitants à se protéger dans des abris ou à fuir vers le sud. Tandis que de Gaza, furent lancés plusieurs milliers de projectiles en 2008-2009, principalement des roquettes de type Qassam et de Katioucha fabriquées artisanalement à partir de produits simples – nitrate de potassium, sucre, engrais… – dans des ateliers clandestins.

Néanmoins, un tel système de défense peut-il être efficace ? La question s’est déjà posée, aux Etats-Unis dans les années 1980, à propos de l’Initiative de défense stratégique (IDS), plus connue sous le nom de « guerre des étoiles » (3). La réponse pourrait être la même : il n’existe pas de système complètement étanche.

De nombreux experts, israéliens notamment, estiment que la cuirasse de « Dôme de fer » a un défaut majeur : la proximité de villes comme Sderot de la frontière. « Alors que les Qassam lancées sur Sderot étaient relativement lents, nous explique M. Reuven Pedazur, expert israélien en missiles balistiques, le Hamas a déjà lancé, notamment durant l’opération « Plomb durci » (la guerre israélienne contre Gaza, en décembre 2008 et janvier 2009), des Qassam de troisième génération, et des Grad. Ceux-ci sont trois ou quatre fois plus rapides que les anciens modèles ». Les premiers résultats montrent que le taux d’interception de roquettes ennemies est loin de 100 %. Le système est encore largement expérimental (4). Le directeur général du ministère de la défense israélien, Udi Shani, qui a indiqué début mai qu’Israël allait consacrer un milliard de dollars dans ce programme les prochaines années, a reconnu que ce n’est pas « un système qui peut assurer l’interception de chaque roquette dans toutes situations » (5).

Et avec les quarante mille roquettes et missiles dont disposerait le Hezbollah, un risque de saturation de la défense israélienne n’est pas à exclure. « C’est une réelle possibilité et c’est tout le problème des systèmes antimissiles et anti-roquettes. En dépit des performances, le nombre est un avantage en soi et des interceptions par missile coûtent cher alors que les roquettes, qu’elles soient du Hezbollah ou des groupes combattants palestiniens, sont très abordables », nous affirme Joseph Henrotin, rédacteur en chef du magazine de défenseDSI, spécialiste des défenses antimissiles. Chaque engin Tamir, estime M. Pedazur, revient à 100 000 dollars, contre quelques centaines de dollars pour une roquette Qassam.

Comme le rapporte le quotidien israélien Haaretz (6), « la décision de développer « Dôme de fer », semble être, depuis le début, une tentative pour maintenir l’emploi des scientifiques de Rafael et pour compenser le manque à gagner de l’arrêt des programmes de recherche et développement pour le système Arrow, mis au point par l’entreprise Israel Aerospace Industries. Une autre explication réside dans le fait que l’entreprise de défense Rafael n’a pas eu à investir en recherche et développement, parce qu’il est partiellement financé par un pays asiatique, dont le nom est secret ». Selon le site spécialisé Intelligence Online, il s’agirait de Singapour, ce que dément la direction de Rafael.

Mais l’argument pour développer un tel système est autant militaire que politique. Le ministre de la défense, M. Ehoud Barak, a estimé que « Dôme de fer » pourra être présenté comme une garantie aux Israéliens pour les rassurer en cas de retrait de Cisjordanie, dans le cadre d’un éventuel accord de paix avec les Palestiniens. « En Israël, les tirs de roquettes sont devenus un véritable sujet de débat politique ces dernières années et les systèmes en question représentent une réponse naturelle (…) Le système n’est pas là tant pour « barricader » Israël que pour pouvoir mettre le pays dans une position de force. Comme pour dire : “regardez, avec ce système et les autres[blocus naval, mur, vidéosurveillance, etc.], vous ne pouvez plus rien nous faire. Maintenant, acceptez nos conditions” », indique Joseph Henrotin.

« Toutefois, en bon général, Barak ne peut ignorer ce que le général Desportes qualifiait de “loi du contournement” : lorsque vous bloquez votre adversaire, qu’il ne peut plus utiliser ses moyens efficacement – en l’occurrence ses roquettes – il trouve d’autres modes d’action. La guerre est une dialectique et les Palestiniens aussi bien que le Hezbollah ont déjà montré leurs facultés d’adaptation tactique, opérationnelle et stratégique. Sauf en cas de solution politique, le problème se posera tout simplement ailleurs… », ajoute l’expert. Lors d’un discours à l’université de Haïfa, au début du mois de décembre dernier, Gadi Eizenkot, un responsable de l’armée israélienne, a même déclaré que ces « systèmes sont conçus pour protéger les bases militaires, même si cela signifie que les citoyens subissent des désagréments durant les premiers jours de la bataille  (7)  ». Mais la direction de Rafael, que nous avons contactée, précise que le système protégera aussi les civils.

D’autre part, la stratégie défensive du « Dôme » se heurte à une tendance de l’armée israélienne à chercher avant tout à développer ses capacités offensives, notamment celles visant à détruire les missiles ou roquettes de longue portée de ses ennemis – repérables à leur taille ou au moment de leur phase de lancement – au moyen de bombes de haute précision. S’agissant des roquettes de courte portée, l’état-major privilégie également l’option offensive avec des raids terrestres ciblant les sites de lancement (8).

La mise en place de « Dôme de fer » confirme aussi les contradictions de la politique de Washington. Alors même que les dissensions entre les deux capitales sur la colonisation s’accentuaient, le président Barack Obama a demandé au Congrès de débloquer la somme de 205 millions de dollars pour soutenir la mise en place du dispositif. La chambre des représentants a approuvé mercredi 8 décembre 2010 l’octroi de cette aide pour un programme qui aura déjà coûté 210 millions de dollars depuis 2007.

Illustration du soutien sans failles des Etats-Unis à l’architecture de défense antimissile israélienne : le déploiement du radar à bande X AN / TPY-2, construit par Raytheon, à la fin 2008 en Israël. Non seulement, ce radar est plus performant que les radars locaux pour détecter les missiles ennemis, mais il est lié au réseau global de satellites dans le Defense Support Program, principale composante du système américain de détection avancée des tirs de missiles.

Cette collaboration remonte à 1996. Les Etats-Unis et Israël ont financé un programme anti-roquettes baptisé « Tactical High Energy Laser (THEL) ». Mais après des investissements estimés entre 300 et 400 millions de dollars, le projet a été abandonné. Pedazur estime pourtant qu’un tir de laser aurait coûté bien moins cher que les missiles tirés par « Dôme de fer » : seulement 3 000 dollars. Le programme a définitivement été abandonné en 2005, même si l’entreprise américaine Northrop Grumman a créé « Skyguard », une version améliorée de THEL, un an plus tard. Selon les autorités israéliennes, le dispositif n’était toujours pas assez efficace (9). « La technologie laser n’a pas encore atteint le stade qui lui permettrait de faire face à de mauvaises conditions météorologiques ou de traiter des objectifs multiples », assure un haut cadre de Rafael.

Quelles sont les conséquences politiques « locales » et internationales de ce projet ? « Fondamentalement et à quelques nuances près, les pays arabes voisins perçoivent le développement de ce type de capacités comme moins dangereux car d’ordre défensif », indique M. Henrotin. Pourtant, il ne dissuadera pas les adversaires d’Israël d’envoyer des roquettes sur les villes du nord comme Haïfa ou du sud comme Sderot. Il faut souligner que la paix ne se fonde pas sur une technologie militaire, même aussi sophistiquée que le « Dôme de fer ». Elle résulte de décisions et d’accords politiques. Avec la poursuite de la colonisation, Israël ne semble pas s’engager dans cette voie. 
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