ANALYSES

Les conséquences politiques de l’accord sur la dette américaine

Presse
4 août 2011
Par [Charlotte Lepri->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=chlepri], chercheur à l'IRIS

Lorsque l’on demanda à Tip O’Neill, président démocrate de la Chambre des représentants sous Reagan, ce qui selon lui avait changé au Congrès entre les années 1950 et 1980, il répondit : "Les personnes sont meilleures ; les résultats sont pires." Il semble que ce constat soit encore plus flagrant aujourd’hui. La qualité du personnel politique s’est peut-être accrue, mais il est de plus en plus difficile de faire passer des réformes et des lois d’envergure, voire même de négocier un accord pourtant indispensable à la survie du gouvernement américain, et donc à la crédibilité de l’économie américaine dans son ensemble.


L’encre de l’accord sur la dette américaine n’est pas encore sèche que l’ensemble des observateurs s’échine à tirer le bilan des "vainqueurs" et "perdants" de cette bagarre politique. L’objectif pour chaque partie étant de montrer que l’on a moins perdu que le camp adverse, difficile de mettre tout le monde d’accord sur l’impact de ce bras de fer. Toutefois, quelques leçons peuvent d’ores et déjà être tirées, et ce à trois niveaux.


A court terme, tout le monde y perd. Barack Obama est critiqué sur sa gauche pour avoir trop recherché le compromis avec les Républicains et avoir abandonné l’une de ses priorités (l’augmentation des impôts pour les plus riches), et sur sa droite pour sa politique dispendieuse et ne pas assez couper dans les budgets (notamment dans les programmes sociaux). John Boehner, en tant que président républicain de la Chambre des représentants, doit à la fois faire preuve de leadership pour gérer cet organe et de sens du compromis pour faire passer des lois. Or le climat politique actuel complique la gestion de la Chambre par le compromis, du fait des attitudes obstructionnistes d’un certain nombre de congressmen – notamment les Tea Partiers, qui s’opposent à tout accord ne comprenant pas des coupes drastiques et une limitation du rôle et des dépenses de l’Etat. Selon un sondage du Pew Research Center et du Washington Post, les mots les plus souvent cités par les Américains pour qualifier le débat actuel sur la dette sont "ridicule", "écœurant" et "stupide", et tous les partis politiques sont considérés comme responsables de cette situation.


A moyen terme, les Etats-Unis ont évité la catastrophe (avec toutes les conséquences qu’un défaut de paiement américain aurait pu avoir sur l’économie mondiale), même si le compromis reste imparfait. Le président Obama avait deux impératifs : prévenir un défaut de paiement et faire en sorte que cette question ne revienne pas sur la table avant les élections de 2012. Du côté républicain, il s’agissait d’empêcher les Démocrates d’augmenter les impôts tout en réduisant la dette par des coupes budgétaires importantes. Dans les deux camps, les objectifs sont in fine atteints, et il était difficile d’en attendre davantage.


Le comité bipartisan en charge d’identifier les prochaines coupes budgétaires devra s’accorder sur un plan, faute de quoi, la plupart des "coupes automatiques" (le fameux "trigger") toucheront en priorité la défense (ce que les Républicains cherchent à tout prix à éviter) et les programmes sociaux (ce que les Démocrates se refusent à accepter) : les deux camps auront donc des motivations raisonnables pour parvenir à un accord.


A long terme se pose la question du fonctionnement du système politique américain. Certes, l’instrumentalisation par les politiciens américains, et notamment les franges les plus radicales, comme le Tea Party, d’un sujet aussi crucial a montré ses limites. La politique de la terre brûlée, portée à son paroxysme pour que chaque camp rassure sa base, n’aura finalement conduit qu’à un accord bancal et sans surprise. Pour autant, difficile de ne pas constater que le système de "checks and balances" contraint le gouvernement américain à négocier un accord pour augmenter le plafond de la dette, et donc de discuter publiquement de cette question avant que la situation n’empire.


D’une certaine manière, comment ne pas voir dans ce jeu de contre-pouvoirs une limite aux excès et aux chèques en blanc ? N’est-il pas préférable de faire face à une crise politique sur les moyens d’éviter la crise économique plutôt que d’affronter une crise politique sur les moyens à mettre en œuvre pour résorber la crise économique ? Cette discussion préalable évite, ou du moins limite, les risques pour le pays de se retrouver dans l’impasse de l’insolvabilité. L’Amérique tant décriée aurait-elle des leçons à donner aux Européens ?

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