ANALYSES

« La menace terroriste planera toujours ! »

Presse
9 septembre 2011
Pascal Boniface - Le Télégramme

Les attentats du 11 septembre 2001 ont profondément bouleversé la carte géopolitique du monde, Pascal Boniface, qui dirige l’Institut des relations internationales et stratégiques, analyse les événements planétaires qui se sont enchaînés depuis dix ans.


Dix ans après les attentats du 11 septem­bre 2001, le danger terroriste s’éloigne-t-il ?

Il s’éloigne au sens où al-Qaïda a été très large­ment battue en brèche. Non seulement car son lea­der a été éliminé et ses capacités opérationnelles ont été réduites, mais aussi parce que la politique de Barack Obama prête moins le flanc à la propa­gande des groupes comme al-Qaïda. Il y a ainsi des progrès, au plan de la sécurité et au plan politique.


Cela étant, il faut admettre que la menace terroris­te ne pourra jamais être totalement éradiquée. Cet­te menace potentielle planera toujours, parce que le terrorisme a créé ceci de particulier qu’il peut frapper à tout moment, en tous lieux et en toutes circonstances et que le risque zéro n’existe pas.


Le terrorisme a-t-il pris une autre forme depuis l’élimination de Ben Laden ?

On a vu avec les événements survenus récemment en Norvège que le terrorisme n’était pas exclusive­ment musulman. Par définition, le terrorisme est multiforme.


Avant Le 11 -Septembre, le monde était dominé par une hyperpuissance, les États-Unis, Le monde est-il devenu multipolai­re ?

Pas encore, parce que les États-Unis restent une puissance inégalée. Aucun autre pays, y com­pris la Chine ne peut se mesurer à la puissance américaine. Les États-Unis sont vraiment le pre­mier empire de l’âge global. Dans le domaine stra­tégique, dans le domaine économique, dans le domaine culturel, au sens de l’influence et dans le domaine technologique, ils font la course en tête. En même temps, le monde n’est plus unipolaire parce que les Américains ne peuvent pas régler à eux-seuls les grands problèmes mondiaux et ne peuvent fixer à eux seuls l’agenda. Donc, le monde n’est pas multipolaire parce qu’il n’y a pas d’équivalent à la puissance américaine, et pas non plus unipolaire parce que les Améri­cains ne peuvent plus décider seuls des choses. Bush a cru au monde unipolaire. Il a donc mené une politique catastrophique. Obama a l’intelligence de comprends que le monde n’est cas unipolai­re et qu’il faut tenir compte des autres. Bien sûr, aujourd’hui, les Américains sont moins puissants, mais cela n’est pas dû aux attentats du 11 septembre 2001. C’est dû à l’émergence de puissances nouvelles, l’Inde, la Chine et le Brésil, Le déclin relatif des États-Unis que nous pouvons constater n’a pas été généré par le 11 septembre même si la réaction disproportionnée de Geor­ge W. Bush, notamment à l’occasion de la guerre en Irak, a accentué le déclin relatif des États-Unis. Ce déclin s’est produit pour l’essentiel à la suite de l’émergence de nouvelles puissances.


Barack Obama est-il à la hauteur des enjeux internationaux actuels ?

Oui. Quand on le compare à George W. Bush, for­ce est de constater qu’il y a une amélioration. Nous étions quelques-uns à dire, lors de son élec­tion en 2008 qu’il ne fallait pas attendre des mira­cles d’Obama, parce qu’il n’avait pas de baguette magique et aussi parce qu’il avait forcément en tête l’intérêt national américain et non pas l’intérêt du monde.


J’ajoute que sur biens des points, il a un peu déçu parce qu’il est attentif à des considérations de poli­tique intérieure américaine. Son souci légitime d’as­surer sa réélection l’a amené à consentir trop de compromis avec les Républicains sur les plans diplomatique et économique,


L’après-11 septembre est aussi marqué par le récent « Printemps arabe ». Change-t-il la donne au Proche et au Moyen-Orient ?

Oui. C’est un événement considérable qui met à mal la théorie selon laquelle les peuples arabes ne seraient pas mûrs pour la démocratie ou seraient incapables de s’affirmer. L’affirmation des aspirations démocratiques dans cette région du monde change très profondément le paysage géopolitique.


Du point de vue israélien, c’est à la fois un avanta­ge et un inconvénient, c’est un avantage pour Israël parce que ce pays a intérêt à être entouré de démocraties. C’est un inconvénient pour l’actuel gouvernement israélien qui mettait en avant le caractère autoritaire des pays arabes pour ne pas avancer en direction de la paix. Le problème, c’est qu’avant les derniers événe­ments, faire la paix avec Moubarak, c’était assez facile. Faire la paix avec 85 millions d’Égyptiens, c’est beaucoup plus difficile. Il faudra certainement à l’avenir que les Israéliens se montrent beaucoup plus ouverts dans une vraie négociation de paix.


Comment expliquez-vous que l’Europe, malgré son poids économique, apparaisse aujourd’hui comme un nain politique ?

Il y a à cela de multiples raisons. D’une part l’Euro­pe n’a pas résolu ses problèmes économiques. Elle est encore aujourd’hui en crise. D’autre part, elle n’a pas dépassé les héritages de l’Histoire. Elle est toujours partagée entre le fait de mettre ses pas dans ceux des États-Unis et l’affirmation d’une position autonome, ce qui n’est pourtant pas incompatible avec une alliance américaine. La conception d’une Europe puissante – que la France a toujours portée n’est toujours pas parta­gée par de nombreuses nations européennes, la Grande-Bretagne en tête.


L’activisme de Nicolas Sarkozy sur la scène internationale est-il de nature à permettre à notre pays de jouer à nouveau un rôle ?

Notre pays n’a jamais cessé de jouer un rôle. Il faut se garder des analyses qui font passer du tout au rien. Très souvent on passe d’une posture qui affir­me que la France est une grande puissance qui peut, à elle seule, éclairer le monde, à une analyse qui dit que nous ne posons rien et qu’il faut mettre à la remorque d’autres pays parce que nous serions incapables de mener une politique autono­me. La vérité se situe probablement entre les deux. L’activisme de Nicolas Sarkozy est ure bonne cho­se, à condition qu’il s’inscrive dars une démarche multilatérale. Si la France essaye de trop tirer la couverture à elle et de faire les choses toute seule, ce qui n’est déjà plus possible pour les États-Unis, elle n’est pas en mesure d’assumer une telle démarche.


Dans le cas de la Libye, si nous étions partis sans le mandat de l’Onu, comme certains, le conseillaient, cela aurait été une catastrophe qui aurait probablement rappelé la malheureuse expédition de Suez en 1956.

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