ANALYSES

Le danger vient des loups solitaires

Presse
9 septembre 2011
Barthélémy Courmont - L’Express-L’impartial (Suisse)

Professeur de science politique à Hallym University (Corée du Sud), et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, Barthélémy Courmont vient de publier «L’après Ben Laden. L’ennemi sans visage». Un ouvrage documenté dans lequel il revient sur les stratégies et les moyens employés par les terroristes. Entretien.


Ben Laden mort, qui «incarne» le terrorisme international?

Pour l’instant, personne! Et c’est bien là le problème. La mort de Ben Laden n’est pas une mauvaise nouvelle, mais elle ne change pas grand-chose au danger posé par le terrorisme international, qui s’est progressivement mué, et n’est pas directement commandité. Aujourd’hui, des individus agissent en étant inspirés par des terroristes comme Ben Laden, ce qui indique bien que sa mort ne modifie pas la donne comme on serait en droit de l’espérer.


Reste-il un théoricien, un stratège, de l’action terroriste?

Ben Laden était un théoricien du terrorisme, mais surtout un inspirateur. Il a incarné le terrorisme islamiste pendant deux décennies. Mais après sa mort, si l’ennemi n’a plus de visage, il n’a pas disparu pour autant. Le danger du terrorisme international, ce ne sont pas les organisations, mais les loups solitaires, ces individus endoctrinés dans l’ombre, souvent sur internet, qui décident un jour de passer à l’acte. Ils ne peuvent pas être fichés, et il est quasi impossible de les identifier avant qu’ils essaient de commettre un attentat. D’une certaine manière, chaque loup solitaire devient un stratège du terrorisme dès lors qu’il agit de façon isolée.


Quelle analyse vous conduit à penser que le 11 septembre les terroristes n’avaient pas songé à la destruction des tours?

Plusieurs éléments. D’abord, personne ne pouvait imaginer que les deux tours allaient s’effondrer à la suite de ces attaques. Les terroristes du 11 septembre 2001 n’étaient pas des ingénieurs ni des architectes, et n’avaient pas plus que quiconque de raison de le savoir. D’autre part, Ben Laden a fait mention, dans un enregistrement retrouvé en Afghanistan, qu’il avait été informé de l’attaque se préparant, mais il fait référence lui-même à la surprise que l’attaque soit allée au-delà de ses espérances. Il est évident que les terroristes avaient des raisons de se réjouir de la destruction des tours, mais absolument rien n’indique qu’ils l’avaient prévue.


En quoi cela aurait-il «décuplé» la réaction des Etats-Unis?

La destruction des tours est, d’un point de vue symbolique, encore plus forte que si elles avaient simplement été frappées par des avions de ligne. Cela a provoqué un émoi considérable. Mais je ne suis pas certain que la réponse américaine aurait été différente si elles ne s’étaient pas effondrées, la nature et le lieu de l’attaque n’en étant pas modifiés.


Les Etats-Unis sont devenus l’hyperpuissance, existe-t-il depuis cet attentat un hyperterrorisme?

Non. L’hyperterrorisme n’a eu d’«hyper» que les résultats, mais certainement pas les moyens. Immédiatement après le 11 septembre, des experts se sont rués pour tenter d’identifier un adversaire très puissant et aux ressources quasi illimitées, selon un scénario digne d’un James Bond. La réalité s’est avérée toute autre. Les camps d’entraînement afghans n’étaient pas sophistiqués, et les terroristes ne bénéficiaient pas de moyens importants. Les attentats du 11 septembre furent réalisés avec des cutters, et beaucoup de détermination. La cache de Ben Laden, dans une maison pour le moins banale, et pas dans un bunker, est un autre exemple d el’erreur qui a consisté à mentionner un hyperterrorisme.


Le sociologue Jean Baudrillard estimait que le 11 septembre, «c’est le monde qui regarde le spectacle de la mondialisation», qu’en pensez-vous?

Je partage ce point de vue. La cible des kamikazes du 11 septembre n’était pas les Etats-Unis, mais la mondialisation. Elle est très souvent identifiée comme l’ennemi à abattre pour les groupes radicaux. Mais paradoxalement, sans la mondialisation, le terrorisme international n’existerait pas, et il s’en sert à la fois pour recruter et pour agir. C’est ce paradoxe qui fait que les attentats du 11 septembre furent un véritable spectacle de la mondialisation.


La «nébuleuse» al-Qaïda est-elle en mesure de perpétrer un «gros coup» quelque part?

La réponse est malheureusement oui, car si on regarde les moyens qui ont servi pour le 11 septembre, on ne peut que considérer qu’un attentat de ce type pourrait se produire à nouveau, et sans qu’il soit beaucoup plus facile de l’empêcher. Les terroristes peuvent frapper deux fois au même endroit, et de la même manière, mais ils choisissent le plus souvent d’autres cibles. C’est en restant imprévisibles qu’ils sont le plus dangereux, car ils savent qu’il est impossible pour les forces de sécurité de rester en permanence en état d’alerte maximum. C’est pourquoi les dates anniversaire et les manifestations importantes ne sont pas les choix qu’ils privilégient.

Sur la même thématique
Caraïbe : quels enjeux pour les opérations HADR ?