ANALYSES

«Un Etat palestinien accélérerait le retour aux négociations»

Presse
21 septembre 2011
Didier Billion - TF1 News

Que peut-il se passer si les Palestiniens obtiennent ou non la reconnaissance de leur Etat à l’Onu ? Les réponses de TF1 News avec Didier Billion, spécialiste du conflit israélo-palestinien à l’Institut des relations internationales et stratégiques.


Didier Billion est Directeur des publications et rédacteur en chef de la Revue Internationale et Stratégique à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).


S’il était proclamé, qu’apporterait un Etat palestinien aux Palestiniens ?

Une adhésion pleine et entière ou même limitée au statut d’Etat non-membre changerait le rapport de force diplomatico-politique en faveur des Palestiniens. Ils pourraient alors faire entendre leur voix et prendre des initiatives dans le cadre de l’Onu puis les faire valoir eux-mêmes. Aujourd’hui, leur statut d’observateur les oblige à les déposer via un pays ami. Ils pourraient notamment saisir les instances judiciaires internationales sur le processus de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-est.


Et sur le terrain ?

Cela ne changerait rien. L’occupation israélienne continuera, les checkpoints de Tsahal ne seront pas démantelés. Les éventuelles procédures de saisine des instances judiciaires internationales sont en effet très longues et il n’y aurait pas de modification concrète et immédiate de la vie quotidienne.


Sur le plan économique, cela n’apporterait également pas grand-chose. Seule la capacité de l’Etat palestinien à contracter des accords avec des pays ou des groupes de pays serait facilitée. Mais cela ne permettra pas de faire baisser radicalement le seuil de pauvreté, seulement de l’aider. Surtout, le processus de réformes, à connotations libérales, du gouvernement palestinien a déjà donné des résultats. Il y a eu des progrès incontestables, à tel point que le FMI a estimé qu’un Etat palestinien serait viable économiquement. Les structures ont été dépoussiérées, la traçabilité des aides extérieures est beaucoup plus claire.


Un Etat sans frontières définies, avec le problème du retour des réfugiés de la guerre de 1948-49 qui n’est toujours pas réglé, est-il viable ?

C’est un vrai sujet de réflexion. Certains estiment qu’on ne peut pas proclamer un Etat sans frontières définies avec ses voisins. C’est effectivement rare. Mais c’est déjà arrivé, et pas plus tard que cette année. Quand il été intronisé 193e Etat de l’Onu en juillet, le Soudan du Sud n’avait pas encore fixée définitivement ses frontières avec le Soudan. Les deux pays ne l’ont fait que très récemment. La proclamation d’un Etat palestinien pourrait donner des leviers pour accélérer le processus de négociations des frontières. Sur ce point, les Palestiniens sont d’ailleurs conscients qu’il faudra probablement accepter des modifications du tracé de la "ligne verte" de 1967 et notamment aborder la question des colonies. Or un Etat permet d’avoir des discussions bilatérales plus poussées, avec ou sans tierce partie, qu’une situation où l’un des protagonistes, reconnu à l’Onu, est l’occupant et l’autre, non reconnu par les Nations unies, l’occupé.


Concernant le retour de réfugiés, les Palestiniens sont toujours arc-boutés dessus. Mais ils sont prêts à discuter des modalités d’application. Là aussi, un Etat pourrait donner des leviers à une négociation.


En annonçant son intention d’aller au Conseil de sécurité dès le début de l’été, Mahmoud Abbas n’a-t-il pas tenté un coup de bluff pour relancer les négociations et ne se retrouve-t-il pas aujourd’hui coincé ?

Je ne pense pas. Si c’était le cas, avec l’intransigeance de Benjamin Netanyahu et l’annonce du veto de Barack Obama, il aurait déjà reculé. Ces dernière semaines, Catherine Ashton (ndlr : la chef de la diplomatie européenne), Tony Blair (ndlr : représentant du "Quartette") et des émissaires américains sont venus à Ramallah. Or, malgré leurs pressions, Mahmoud Abbas a maintenu le cap. S’il avait tenté un coup de bluff, une solution pour sortir de l’impasse par le haut aurait été trouvée.


Mahmoud Abbas estime que toutes les solutions ont été tentées, notamment en septembre 2010 avec la relance du processus de paix. Mais quelques semaines plus tard, tout était terminé avec le refus de Benjamin Netanyahu de prolonger le moratoire sur la colonisation. Et ce malgré la demande de Barack Obama. Depuis, rien n’a bougé. Mahmoud Abbas a réussi à convaincre les autres dirigeants palestiniens qu’aller au Conseil de sécurité était nécessaire pour sortir de l’impasse.


Le consensus est cependant loin d’être total entre Palestiniens puisque le Hamas, malgré l’accord de réconciliation, est plutôt défavorable à la demande de reconnaissance.

Il s’agit d’une surenchère tactique à des fins de politique interne. Lors du processus de réconciliation avec le Fatah, il avait déjà été question d’une offensive diplomatique à l’Onu. Le Hamas ne s’y était pas opposé. Or, aujourd’hui, il veut montrer la "trahison" de l’Autorité palestinienne. Les plus radicaux semblent donc l’avoir emporté.


Quelle que soit la décision de l’Onu, y a-t-il des risques réels de violences sur le terrain ?

S’ils sont bloqués par le Conseil de sécurité, les Palestiniens pourront aller à ‘Assemblée générale pour obtenir le simple statut d’"Etat non-membre" et montrer ainsi l’isolement d’Israël (ndlr : les Palestiniens y disposent a priori de la majorité des deux 2/3 nécessaire pour la procédure d’adhésion comme "Etat non-membre"). Ils pourront ensuite utiliser cet aspect pour faire de l’agitation politico-diplomatique, beaucoup plus intelligente que l’attaque de colons ou de l’armée israélienne. Il n’y aura donc pas d’embrasement en Cisjordanie, même si quelques violences isolées sont bien sûr toujours possibles. A l’opposé, les colons israéliens les plus radicalisés et qui ne veulent aucun compromis pourraient poser problème en cas de reconnaissance de l’Etat palestinien.


Quoi qu’il arrive, Palestiniens et Israéliens ne vont-ils pas devoir reprendre les négociations à un moment ou à un autre?

Oui. C’est une nécessité absolue. Un jour ou l’autre, des dirigeants palestiniens et israéliens, qui ne seront peut-être plus Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahu, se retrouveront autour d’une table. La reconnaissance d’un Etat palestinien permettra justement d’accélérer le processus.

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