ANALYSES

«Le pouvoir nord-coréen risque d’être déstabilisé»

Presse
19 décembre 2011
Barthélémy Courmont - Libération.fr
La mort de Kim Jong-il peut-elle déstabiliser l’équilibre précaire dans la région?

Entre les deux Corée, je ne pense pas, ou alors pas avant plusieurs mois. La déstabilisation entre les deux pays a déjà eu lieu d’une certaine manière lors de la mise en place de la succession l’année dernière, avec le bombardement d’une île et le torpillage d’un navire militaire sud-coréen.


Le risque est surtout que cette mort déstabilise les organes de pouvoir en Corée du Nord. On ne sait pas comment Kim Jong-un, 28 ans, va être capable d’affirmer sa place de leader face aux cadres du parti, notamment ses oncles.


Comment justement a été organisée la succession? Que sait-on de son successeur?

La succession s’est préparée dans l’ombre et de manière opaque. On ne sait pas qui est Kim Jong-un, on n’a que très peu d’informations sur lui. C’est l’un des dirigeants les moins connus du monde. Physiquement, il ressemble à son grand-père, Kim Il-sung, il est plus grand et plus joufflu que son père. Politiquement, on ne connaît pas sa vision des choses, on ne sait pas s’il est réformateur ou si au contraire il sera sur une ligne dure.


Au départ, c’est le benjamin, il n’était pas destiné à prendre la relève. Il aurait étudié au lycée en Suisse. Mais les deux aînés ont fait ce qu’on pourrait appeler des conneries – notamment l’un qui s’est rendu à Disneyland au Japon avec des faux passeports – et ils sont entrés en disgrâce.


Peut-il garder le pouvoir sur la durée ?

Kim Jong-il avait bénéficié de quelques années dans l’ombre de son père pour monter en puissance et s’affirmer. Kim Jong-un n’a eu que quelques mois car son père est mort de manière subite, même s’il était affaibli. Il devra peut-être affronter une contestation en interne. S’il est trop réformateur, cela pourrait ne pas plaire aux cadres du régime. Certains sont en place depuis son grand-père. S’il ne l’est pas assez, à l’inverse peut-être le poussera-t-on à s’ouvrir.


On n’oublie souvent que son grand-père avait réinventé la ligne politique du pays. C’était une ligne inédite, un mélange de négociation, notamment lors de la Sunshine Policy au début des années 2000, et d’extrême fermeté. Il s’est imposé, dans les yeux des gens de son pays, comme le défenseur de la nation coréenne. Kim Jong-un doit s’inventer une nouvelle ligne.


Le pouvoir met une ligne des vidéos officielles mettant en scène des gens pleurant sur les places de Pyongyang. Peut-on y croire?

Malheureusement, on peut y croire. Il y a sans doute beaucoup de sincérité. Un véritable culte lui était voué. A lui, mais à son père aussi, qui a été déclaré Président pour l’éternité à sa mort en 1994. Kim Jung-sung était le bâtisseur de la nation nord-coréenne, Kim Jong-il était la mère, toujours représenté de manière grave, protecteur. Il a eu 17 années de pouvoir très difficile et a incarné la résistance acharnée contre l’étranger auprès d’un peuple qui n’a aucune connaissance de ce qui se passe vraiment et qui se sent désormais comme orphelin.


Son peuple ne lui tenait pas rigueur des famines?

En Corée du Nord, l’ennemi, c’est Washington depuis la guerre de Corée, et encore plus depuis les sanctions au début des années 90. Face à cela, l’ancien président était toujours représenté en train de négocier pour son peuple semblant tout faire pour lutter contre la famine.


Y a-t-il une opposition ?

Les opposants sont en Corée du Sud. Plus d’un million d’habitants du nord ont fui le pays, presque tous poussés par la famine. Séoul a mis en place des cellules de réfugiés pour les intégrer mais elle essaye de monter en même temps des mouvements d’opposition contre Pyongyang.


Quel peut-être le rôle de la Chine dans les prochains mois ?

La Chine n’a pas à se réjouir d’un changement trop brutal du régime. La situation idéale pour elle est le statut quo. Elle investit des sommes considérables dans deux zones économiques spéciales à la frontière et est en train de contrôler financièrement le pays. Une réunification mettrait en péril cette situation. A l’inverse, elle n’a aucun intérêt à un conflit non plus.


Pareil du côté des Japonais, qui bien sûr ne veulent pas la guerre, mais qui n’ont pas forcément envie d’une Corée trop puissante. A Séoul, le coût potentiel de la réunification effraye.


Et du côté des Etats-Unis?

A Washington, on a sans doute en ce moment d’autres préoccupations. De plus, la présence des soldats américains en Corée du Sud est de plus en plus impopulaire dans l’opinion publique. Il y a une volonté manifeste de ce pays de tenter de régler le problème par lui-même.

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