ANALYSES

«Il faut porter le problème de la corruption sportive au niveau politique»

Presse
3 février 2012
Interview de [Sarah Lacarrière->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=lacarriere], chercheure à l’IRIS par Gilles Dhers
Peut-on mesurer l’ampleur de la corruption liée aux paris?

C’est encore très difficile, car on n’a pas de données agrégées sur le sujet et c’est tout l’enjeu de la mise en place par le mouvement sportif d’un observatoire qui centralise ces données. L’institut Sportadar estime que 300 rencontres professionnelles de foot, domestiques ou internationales (soit 1% du total) sont potentiellement truquées chaque année en Europe. Et là on ne parle que du périmètre que cette société peut surveiller, ce qui exclut toute l’offre illégale de paris en Asie. Les cas qui sortent ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.


Le mouvement sportif est-il conscient du risque?

Oui et c’est nouveau. 2011 a vraiment marqué le début d’une mobilisation. Tout a commencé en 2005 avec l’affaire Hoyzer (un arbitre de foot corrompu en Allemagne, ndlr), puis en 2009 avec l’affaire de Bochum (toujours du foot, toujours en Allemagne, ndlr). L’UEFA a été la première à se mobiliser avec un système de monitoring des paris. Le Comité international olympique a mis en place des groupes de travail. La Fifa a fait un don de 20 millions de dollars à Interpol. Pas mal de choses ont été faites sur le volet prévention et formation des joueurs. Ce qu’on peut souhaiter, c’est qu’avec cet argent, Interpol, qui doit créer à Singapour un hub spécialisé dans les matches truqués,.s’inscrive plus dans son corps de métier, c’est à dire la coopération policière internationale.


Le risque n’existe-t-il pas que les instances sportives taisent le phénomène pour ne pas démonétiser leur produit?

C’est le grand problème et c’est ce qui rend la communication assez difficile. Notamment pour obtenir des chiffres ou des cas précise qui auraient pu nous aider dans notre travail. Les fédérations peuvent penser qu’à trop communiquer, il y a effectivement un risque de décrédibilisation des compétitions. Personnellement, je pense au contraire que la communication favorise la dissuasion. En Asie, dans les années 1990 et 2000, le phénomène des matches truqués a provoqué un désintérêt du public et donc impacté la billetterie, le sponsoring etc. On a observé la même chose dans les Balkans. Quand on en arrive à ces situations, il faut faire le ménage. Je pense que le mouvement sportif a intérêt à jouer la transparence.


Le mouvement sportif s’est souvent montré très sourcilleux sur son autonomie et son indépendance. Là il doit faire face à la criminalité organisée.


Peut-il mener le combat seul?

Là dessus les positions sont divergentes et certains organismes sont plus réticents. Néanmoins, on constater qu’il y avait une volonté d’ouverture, notamment de la part de l’UEFA qui plaide pour la création par le pouvoirs publics d’un délit de fraude sportive liée aux matches truqués. Dans ce domaine des paris, on peut dire que globalement, le mouvement sportif est enclin à céder du terrain sur la question de son autonomie. On le voit en France, il n’y a pas eu d’objection majeur sur la création d’un délit de fraude sportive.


Certains pays sont-ils encore dans le déni?

Il faut porter la question de la corruption sportive au niveau politique. Et là le Comité international olympique a un rôle à jouer. Le noeud du problème se situe en Asie et dans le Balkans où beaucoup de fédérations sont gangrénées, comme en Albanie, ou plus récemment en Croatie, où le vice-président de la Fédération et le président de la commission des arbitres ont été arrêtés. La Russie est aussi particulièrement touchée, au point que les pouvoirs publics commencent à s’inquiéter et veulent nettoyer le foot en vue de la Coupe du monde 2018 que le pays va organiser. Mais le problème ne peut pas être circonscrit à ces pays puisque ce sont les compétitions européennes qui sont la cible. Il faut de toute façon une vision européenne harmonisée sur la question des paris sportifs. Tout ce que l’on pourra créer au niveau européen en termes de normes pourra être porté au niveau politique et proposé aux acteurs asiatiques ou d’Europe de l’Est. C’est là que le rôle du Conseil de l’Europe qui étudie la possibilité d’une convention internationale est important.


Faut-il créer une agence mondiale anticorruption sur le modèle de l’Agence mondiale antidopage, qui associe mouvement sportif et pouvoirs publics?

C’est trop tôt. D’abord il faut appréhender le risque et tous les sports doivent se livrer à un travail d’introspection pour mesurer l’impact des paris sportifs… C’est pour ça que nous invitons plutôt, dans un premier temps, à la mise en place d’un observatoire qui recenserait les cas, favoriserait l’adoption de normes unifiées entre les différentes fédérations sur la nature de paris autorisés et qui serait un lieu de réflexion et d’information pour le mouvement sportif pour réfléchir à l’opportunité d’une telle agence. C’est d’ailleurs la réflexion en cours au CIO. Mais le préalable, c’est vraiment l’introspection du mouvement sportif.


Peut-on dire que la corruption sportive est aujourd’hui une activité sans risque pour la criminalité organisée?

Oui. Le sport permet de blanchir de l’argent et bénéficie d’une certaine impunité: c’est moins dangereux que le trafic de drogue ou le trafic d’armes, domaines dans lesquels existent déjà des outils de lutte et des conventions internationales. Dans le sport, les criminels ne s’exposent pas à des risques importants. D’où l’enjeu de la pénalisation de la fraude sportive, qui permettrait de mettre en oeuvre des moyens d’investigations supplémentaires, plus difficiles utiliser à quand il n’existe pas un délit spécifique. Certains Etats bloquent, faisant valoir qu’existent déjà un délit de corruption ou d’association de malfaiteurs… La création d’un tel délit favoriserait la création de services de police dédiés et donc une meilleure coopération internationale.


La France est-elle bien protégée?

La France a inscrit dans la loi la protection de l’intégrité du sport. La régulation des paris sportifs permet de se préserver de certains risques. L’arsenal est assez protecteur. Et puis le football français ne suscite pas la même effervescence chez les parieurs asiatiques que le foot anglais par exemple et les sportifs professionnels sont peut-être mieux encadrés en France que dans d’autres pays. Ensuite on ne peut rien exclure si un opérateur asiatique propose des paris sur des rencontres de National par exemple. Il est très important de savoir quelles compétition font l’objet de paris et où elles en font l’objet.


Les Jeux olympiques de Londres sont-ils particulièrement menacés?

Il y a une vraie inquiétude. Dès les JO de Pékin, le CIO a installé un système de monitoring des paris. Londres, c’est le paradis des bookmakers et les Jeux constituent un événement planétaire, suivi deux milliards de personnes, notamment en Asie où l’on parie énormément. On peut considérer que les risques sont accrus. Mais les JO sont aussi une compétition reine pour tous les athlètes et l’on peut présumer qu’il sera plus difficile d’aller corrompre un champion qui les attend depuis des années. Mais en foot, par exemple, les Jeux ne revêtent pas une influence majeure, la tentation peut donc être plus grande. Le CIO est très mobilisé et la police britannique, en collaboration avec le comité d’organisation des Jeux, a mis en place une cellule dédiée chargée de veiller à ce que les athlètes ne soient pas approchée, surveiller les lieux de compétition et d’entraînement…

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