ANALYSES

La diplomatie FN de Jean-Marie à Marine Le Pen

Presse
11 février 2012
- Marianne 2

Si le Front National a indéniablement une politique vis-à-vis des étrangers, a-t-il pour autant une politique étrangère ? C’est la question, qui peut paraître paradoxale, sur laquelle se penche depuis plusieurs années Magali Balent, chercheur à l’Institut pour les Relations Internationales et stratégiques, auteur d’une thèse sur «le Front national et le monde» et d’un ouvrage plus récent intitulé «Le monde selon Marine».


Le Front National a-t-il une politique internationale ? La problématique pourrait être balayée d’un revers de main étant entendu qu’un parti nationaliste ne peut avoir pour horizon indépassable que la nation. « Nationalistes de tous les pays, unissez-vous » proclamait, en son temps, Jean-Marie Le Pen.


L’Internationale des nationalismes n’est pas pour demain. Pourtant le parti a développé une véritable vision du monde: « ce sont des sujets qui n’intéressent pas au premier abord les électeurs du FN et qui n’ont pas fait la fortune du parti notamment quand le FN s’est transformé en parti de masse en 1983-84. L’idée qui dominait était que cette question n’était pas légitime. Or, si vous regardez la presse du FN, les ouvrages rédigés par des cadres du FN, les discours, cet argumentaire ne tient pas. Depuis sa création, en 1972, le FN a une politique étrangère et qui est même extrêmement cohérente, beaucoup plus que celle de grands partis français traditionnels. Il y a une vision du monde » affirmait Magali Balent, auteur de Le Monde selon Marine, lors d’une conférence au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère. Une vision cohérente d’un monde chaotique et de la recherche de puissance extérieure envisagé comme un enjeu vital pour la nation.


Magali Balent note une continuité entre les discours de Jean-Marie Le Pen et de sa fille sur les questions de politique internationale : « une realpolitik qui vise à défendre envers et contre tout l’intérêt national contre ses ennemis, la défense de la souveraineté nationale et reconstituer les moyens de se défendre. Pour cela le Parti doit définir ses ennemis prioritaires (Union Européenne, Islam, Etats-Unis) et ses partenaires potentiels. En cela, la question de la défense nationale est la pierre angulaire de son discours. Le FN a toujours milité pour une armée qui ait les moyens d’exister. Une armée efficace, compétente et une politique de défense en accord avec ces objectifs. C’est une politique qui ne s’embarrasse pas de principes universels, altruistes et qui, en conséquence peut amener le parti à changer de discours quand les rapports de force évoluent avec toujours pour seul objectif la défense de l’intérêt national ».


La guerre, horizon indépassable des relations internationales

Si au temps de la guerre froide, le parti s’est associé aux causes anticommunistes (expliquant son soutien aux dictatures militaires latino-américaines puis à Israël contre le monde arabe prétendument complice du communisme), passant même par une admiration personnelle du chef du FN pour l’Amérique ultra-libérale de Reagan au moment de la campagne de 1988, depuis les années 90 la priorité est à l’alliance avec les pays qui défient le « Nouvel ordre mondial » (l’Irak, la Serbie et plus récemment la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo) et la toute puissance américaine…jusqu’à se tourner vers la Russie de Poutine comme elle s’en est expliqué lors d’une interview au quotidien russe Kommersant : « Il me semble que Poutine a le caractère et la vision de l’avenir nécessaire pour rendre à la Russie la prospérité qu’elle mérite. Et une coopération plus active avec la France et les pays européens peut accélérer ce processus ».


Le discours du parti est fondé sur quelques grands principes idéologiques : la guerre constitue l’horizon indépassable des relations internationales. La paix est une considération d’intellectuels mais irréaliste : « ce qui amène le FN à considérer que le droit international est une vaste imposture. L’idée selon laquelle il existerait un droit capable de pacifier les relations entre états est inenvisageable d’autant qu’il est lié au souhait des grandes puissances de s’armer d’une cause juste pour intervenir dans des conflits intérieurs. Ce serait une arme des puissants, notamment des Etats-Unis pour s’ingérer dans les conflits ».


C’est une idée intacte depuis 1972 que le FN n’a cessé de développer jusqu’à très récemment sur les questions libyennes et syriennes. Le FN ne reconnaît que les états comme acteurs politiques souverains. Les organisations supra-nationales (ONU, UE, OTAN) sont, au mieux, des espaces de coopérations entre états. Enfin prédomine toujours l’idée que ce sont les peuples, les réalités démographiques, civilisationnelles, culturelles qui font l’histoire des relations internationales et les rapports de force.


Une légère inflexion de la politique étrangère du FN

Dans un entretien donné en février 2012 à La Revue, Marine Le Pen fustige la démocratie au bout des missiles dénonçant la façon dont le clan Kadhafi a été décapité : « il aurait fallu négocier, agir diplomatiquement», associant la destinée de Kadhafi à celle de Saddam Hussein dont Jean-Marie Le Pen s’était montré très proche au point de lui envoyer plusieurs fois son épouse Jany. Sur les révolutions arabes, elle avoue sa crainte de voir des régimes totalitaires religieux religieux se substituer aux régimes totalitaires laïcs : « Ce que je refuse absolument, c’est que ces revendications politico-religieuses viennent déborder sur mon territoire à moi. D’où le deuxième danger : une immigration massive incontrôlée de populations fuyant la charia. Ce serait irresponsable de ne pas l’envisager ».


Au fil du temps et des influences, le discours s’es révélé beaucoup plus embrouillé sur la Syrie.

Opposée à toute intervention dans le pays, les positions du parti hésitent entre la langue de bois diplomatique : « Il n’y a pas les méchants pas beaux d’un côté et les jolis tout plein de l’autre » et une approche plus iconoclaste : « On demande l’arrêt des exactions, mais on demande aussi de respecter la souveraineté des Etats et de chercher toutes les voies diplomatiques pour maintenir la paix. C’est un régime laïc, qui, même si c’est une dictature, permet un certain équilibre dans la région ». Dans La Revue, Marine Le Pen refuse toute ingérence de l’occident, tenant malgré tout à préciser que ni elle ni son père ne connaissent Bachar El Assad et que les positions de Frédéric Chatillon, proche conseiller de la présidente du FN et concepteur du site de pro-Assad infosyrie.fr n’engagent que lui.


Elle exprime également une méfiance toute particulière à l’égard du Qatar, ses milliards investis dans les banlieues françaises, ses médias, et sa complaisance avec les islamistes.


C’est enfin à une véritable entreprise de séduction des Juifs de France à laquelle se livre la présidente du FN dans cet entretien. Désireuse de se rendre en Israël en « amie », elle explique que le FN n’a jamais été antisémite même s’il y a eu des éléments antisémites en son sein : « j’ai des retours importants de Français juifs qui partagent mes idées sur la sortie de l’euro, la sécurité et l’islamisation de la France ».


Bref, si les grandes lignes idéologiques du parti n’ont pas changé, Marine Le Pen a infléchi certaines positions que précise Magali Balent « Marine Le Pen utilise les relations internationales pour se respectabiliser. Pour échapper à l’idée que le parti serait antisémite, elle s’est rapprochée d’Israël. On a vu le numéro 2 du parti aller lui même en Israël à la fin de l’année 2011. Même chose pour les Etats-Unis où Marine Le Pen a fait un voyage. Par ailleurs, elle souhaite coller à l’actualité, d’où un recentrage sur l’Islam et la nation alors que son père, du fait de son « passé » colonial, maintenait un certain équilibre entre un nationalisme de repli et un nationalisme expansionniste. Jean-Marie Le Pen assumait, par exemple, une fascination pour le monde arabe ».