ANALYSES

Attaques de Kaboul : « un message militaire et politique des talibans »

Presse
16 avril 2012
Karim Pakzad - TF1 News
L’expression "offensive de printemps des talibans" est-elle adéquate ?

Il ne faut pas y accorder plus d’importance qu’elle n’en a. Certes, dans les zones montagneuses du pays, les talibans ne peuvent en effet mener d’opérations pendant l’hiver en raison de la neige qui encombre les cols et de l’absence de moyens de transport. Mais dans les plaines, comme à Kandahar, les attaques se poursuivent. L’"offensive de printemps" est donc une réalité, mais elle est limitée.


Que font les talibans bloqués par la météo pendant cette période ?

Ils retournent dans leurs villages, tout simplement. Le mouvement taliban est constitué de trois groupes : les cadres (souvent originaires du Pakistan) et les militants purs et durs, peu nombreux ; les "bénévoles" candidats à l’attentat-suicide et formés dans les écoles coraniques pakistanaises, eux aussi peu nombreux ; et, en grande majorité de gens vivants dans les campagnes. Comme le disent d’ailleurs les militaires occidentaux, il est très difficile de distinguer un villageois d’un taliban. Pendant l’hiver, ces villageois s’occupent de leur vie quotidienne tandis que les cadres retournent chez eux, "au chaud", au Pakistan, où ils font du commerce, vont sur les marchés ou se livrent à la contrebande.


Plus globalement, que signifient les attaques menées dimanche et lundi en plein cœur de Kaboul ?

Les talibans avaient un double but : militaire et politique. Après l’accalmie de l’hiver, il s’agissait de montrer leur capacité de frapper où ils veulent, quand ils veulent. Outre les nombreux endroits dans le pays qui ont été aussi attaqués ce week-end, ils ont prouvé qu’ils pouvaient infiltrer Kaboul, probablement la ville la mieux protégée au monde, avec des armes lourdes qui plus est. Tout ceci confirme qu’ils possèdent forcément des taupes dans les services de sécurité.


Et d’un point de vue politique ?

C’est très complexe et mérite d’être remis dans le contexte. La situation actuelle est en effet très particulière. D’un côté, le calendrier de retrait des forces de l’Otan est sur la table -il a même commencé puisque 200 soldats français et 30.000 Américains sont rentrés récemment. De l’autre, le processus politique en cours est délicat et compliqué. Les Etats-Unis, qui pensent déjà à l’après-2014, ont notamment compris que, sans accord politique avec les talibans, ils ne pourraient ni mener tranquillement le départ de leurs soldats ni garder un rôle important après le retrait.


Ils ont donc débuté les négociations avec les talibans, qui ont ouvert un bureau au Qatar. Mais, avant toute discussion sérieuse, les talibans demandent la libération de certains de leurs membres prisonniers à Guantanamo. Si l’administration de Barack Obama y est plutôt favorable, le Congrès est en revanche hésitant. Conséquence : les talibans, qui se permettent le luxe de poser leurs conditions, ont suspendu les pourparlers. Pour ne rien arranger, ces pourparlers font aussi face à deux obstacles extérieurs.


Lesquels ?

Tout d’abord, Hamid Karzaï, le président afghan, n’entend pas laisser les Etats-Unis en tête-à-tête avec les talibans. Juridiquement, c’est logique. Mais politiquement, il faut être lucide : son gouvernement est faible, corrompu, et n’a que très peu de poids. Pour le ménager, Washington a néanmoins trouvé une solution : les négociations avec les talibans se font sans lui, mais les résultats doivent obtenir son aval. De leur côté, les talibans sont eux-mêmes victimes de leurs propres divergences internes.


C’est-à-dire ?

Leurs trois tendances ne sont pas toutes sur la même ligne. Le Hezb-e-Islami de Gulbuddin Hekmatyar souhaite discuter avec Kaboul pour mettre en place un gouvernement provisoire et des élections ouvertes à tous. Les talibans historiques de la shura (ndlr : conseil) de Quetta préfère négocier directement avec les Etats-Unis les modalités du retrait occidental. Ce sont eux qui ont ouvert le bureau du Qatar, présenté officiellement comme un moyen de communication à destination de l’opinion publique mondiale et non comme un bureau de négociations.


Enfin, la troisième composante, celle dirigée par Djalâlouddine Haqqani, est plutôt hostile aux pourparlers. Radicalisé, cet ancien de la guerre contre l’URSS (ndlr : il était alors soutenu par les Etats-Unis) estime qu’il peut gagner la guerre en continuant le jihad et qu’il n’a pas forcément intérêt à négocier. Les attaques de dimanche et lundi ont donc été menées par son réseau, en contact avec Al-Qaïda et soutenu en sous-main par les services pakistanais. Il voulait marquer les esprits pour établir un rapport de force politique qui lui servira dans le futur.


Ce coup d’éclat restera-t-il unique ou est-ce une tendance de fond ?

Les talibans ont les moyens de faire bien plus dans les mois à venir. Depuis 10 ans, le mouvement ne s’affaiblit pas, malgré tout ce qui est fait par la coalition, et surtout par tout ce qui est dit par Kaboul ou par l’Otan. On ne peut pas ainsi se réjouir de l’intervention de l’armée afghane, qui s’est interposée lors des attaques, sans pouvoir les prévenir. D’un simple point de vue militaire, ces actions sont donc de mauvaise augure.


Les talibans peuvent-ils reprendre le pouvoir après le retrait occidental ?

Militairement, oui, mais la question principale est : pourraient-ils alors gouverner ? En fait, avant le retrait occidental, il faut absolument trouver un accord politique qui englobe toutes les composantes de la société afghane. Beaucoup, comme les hazaras et les tadjiks, sont opposées aux talibans, principalement pachtouns. Si cet accord n’existe pas, alors le pays sombrera dans la guerre civile comme entre 1992 et 1996. Et il est aujourd’hui impossible de prédire avec certitude qui gagnera.

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