ANALYSES

Paris-Tunis : une nouvelle donne ?

Presse
18 juillet 2012
Béligh Nabli - Libération

La visite en France du président de la République tunisienne, Moncef Marzouki, qui s’achève demain, s’inscrit dans un contexte particulier: la gauche est de retour au pouvoir en France, tandis que la Tunisie s’est lancée dans un processus de transition démocratique. Cette double reconfiguration ouvre des perspectives inédites pour des relations bilatérales trop longtemps fondées sur des slogans artificiels –tel le fameux «miracle (économique) tunisien») – et/ou cyniques –«le régime de type autoritaire est l’unique rempart à l’islamisme».


Ce type de discours a nourri l’incompréhension française. De l’immolation de Mohamed Bouazizi à la chute du régime de Ben Ali, la France n’avait pas su – voulu ? – prendre le train de l’Histoire. Pis, l’autisme et l’attentisme de Nicolas Sarkozy, conjugués aux propos de sa ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avaient suscité un malaise à l’égard de l’ex-puissance coloniale. Malaise à peine estompé. Ainsi, il y a quelques mois, le président Marzouki n’avait pas hésité à pointer ce décalage: «la France est le pays le plus proche de la Tunisie et celui qui nous comprend le moins bien au sein de l’Europe. Est-ce la grille de lecture “religieuse” des Français qui les empêche de se rendre compte de ce qui se passe dans le monde arabe?» (Le Point.fr, 17mai). Le questionnement de cet homme de gauche invite à ne pas céder à l’obsession islamiste par une diabolisation stérile, à ne pas réduire la complexité de la Tunisie post-révolutionnaire à l’émergence d’un quelconque «Etat islamiste». Certes, l’islamisme politique est une source de tension depuis la chute du régime Ben Ali. La question des rapports entre l’Etat et l’islam constitue un vrai point de crispation au sein de l’Assemblée nationale constituante et au sein de la société elle-même. Toutefois, si les valeurs qui ont inspiré la révolution tunisienne sont universelles, il revient aux seuls citoyens tunisiens de mener le combat démocratique et de définir les termes du nouveau contrat social. Autrement dit, c’est au peuple d’être le garant de sa propre révolution et d’exercer ainsi sa pleine souveraineté.


La France est-elle pour autant condamnée au silence et à l’inaction? Sûrement pas. Au-delà d’une certaine continuité de la politique étrangère, la France de Nicolas Sarkozy n’est pas celle de François Hollande. La perception de soi et le regard de l’Autre ne sont pas de même nature. La victoire du candidat de la gauche a été largement saluée par les peuples de la rive sud de la Méditerranée. Hollande se trouve donc bien placé pour initier l’idée d’un partenariat diplomatico-stratégique entre le «pays des droits de l’homme» et le «pays du printemps arabe». Au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, de l’Occident et du monde arabe, l’axe Paris-Tunis constituerait un symbole fort en ce début de XXIe siècle, une alliance –d’égal à égal– en forme de rejet de la doctrine du choc des civilisations présente des deux côtés de la Méditerranée. Le rayonnement international et le soft power des deux pays seraient renforcés. Les deux peuples entretiennent un lien charnel ancré dans l’histoire et la culture, dont la dimension humaine est représentée aujourd’hui par les milliers de binationaux, les 600000 Tunisiens vivants en France et les 30 000 Français présents en Tunisie. Sur le plan économique, la France demeure le principal partenaire commercial de la Tunisie, mais ce positionnement privilégié n’est pas un «droit acquis». Les cartes risquent d’être redistribuées. Des acteurs étatiques –tel le Qatar– ou privés l’ont bien saisi et tentent de s’imposer sur le marché tunisien. Or la Tunisie ne doit pas être perçue comme un simple marché. C’est un pays en transition confronté à des difficultés économiques et sociales de nature à mettre en péril les fragiles acquis de la révolution. C’est pourquoi il serait opportun de soutenir la candidature de la Tunisie au statut de partenaire avancé de l’Union européenne. La reconnaissance d’un tel statut –dont le Maroc bénéficie– permettrait d’intensifier le dialogue politique et les relations commerciales entre Bruxelles et Tunis afin de relancer l’économie nationale et favoriser ainsi le succès de la transition démocratique. Enfin, sur le plan de la sécurité, la France et la Tunisie sont confrontées à la menace terroriste. Comment ignorer l’intérêt de conclure des accords de coopération de défense pour lutter contre l’action de groupes terroristes tels qu’Aqmi, Ansar Eddine ou autres?


Un tel partenariat stratégique suppose un rapport de confiance. D’un côté, la Tunisie ne saurait tourner le dos à la France et à l’Europe par une posture de repli identitaire, en reniant notamment une partie de son patrimoine culturel incarnée par la langue française. De l’autre, la France doit traduire en acte les engagements tenus par le candidat Hollande, qui avait proposé de convertir la dette tunisienne sous forme de don par la communauté internationale. Dans le contexte des soulèvements arabes, la reconnaissance de l’existence internationale de l’Etat palestinien ferait par ailleurs entrer François Hollande dans l’histoire…du monde arabe.

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