ANALYSES

«Le FRP est toujours un parti important»

Presse
22 juillet 2012
Jean-Yves Camus - Arte Journal
Un an après les attaques d’Anders Breivik, où se situe l’extrême droite norvégienne, en particulier le FRP (Parti du Progrès) ?

Il faut avant tout préciser que si Anders Breivik a été membre d’une section des jeunesses du FRP à Oslo, le parti, par la voix de sa présidente Siv Jensen, a condamné les actes de Breivik dès la première minute. Je crois qu’on ne peut pas engager la responsabilitédu FRP dans les actes commis par Breivik. Il a agi seul, le procès l’a prouvé. On peut ensuite évidemment s’interroger sur les idées qu’il a pu glaner lors de son passage de plus de dix ans dans ce parti. Mais le FRP, on doit le souligner, est un parti démocratique, populiste et xénophobe mais qui n’a pas de racines dans l’extrême droite historique. C’est ce qui le distingue principalement d’un certain nombre de partis que nous connaissons, aussi bien en France qu’en Allemagne. Le FRP, lorsqu’il est créé au milieu des année 70, est un mouvement de protestation contre l’État-providence, contre la fiscalité notamment. Il évolue ensuite progressivement vers une droite plus radicale sur les questions de l’immigration et notamment de l’Islam mais il est toujours resté un parti qui ne mène qu’un combat électoral avec des méthodes démocratiques. D’ailleurs aucun politologue norvégien ne considère que le FRP est un parti d’extrême droite au sens où par exemple le NPD ou même le Front National peuvent l’être, c’est-à-dire avec de véritables racines historiques, personnelles et idéologiques qui sont celles de l’extrême droite de toujours.


L’image renvoyée par Breivik a-t-elle tout de même eu un impact sur le FRP ?

Jean-Yves Camus : Le parti a tout d’abord connu une défaite électorale importante lors des élections municipales qui se sont déroulées en septembre 2011, donc vraiment dans la foulée des actes de Breivik, où effectivement il semble que l’électorat norvégien lui ait massivement reproché d’avoir hébergé en son sein quelqu’un qui par la suite s’est transformé en terroriste. Mais le FRP est toujours important, il s’agit toujours d’un parti qui a un potentiel de 20% des voix. Mais à Oslo par exemple, il siégeait au sein de la municipalité centre-droit, ce n’est plus le cas aujourd’hui.


En quoi est-ce compliqué pour le FRP de se démarquer d’Anders Breivik, du moins auprès de l’opinion publique ?

Jean-Yves Camus : C’est compliqué parce que le FRP peut plaider de bonne foi le fait que Breivik l’a quitté il y a déjà très longtemps et qu’ensuite il s’est radicalisé tout seul. Breivik n’a pas quitté le FRP huit jours ni même un an avant de commettre son attentat. Il y a eu toute une période pendant laquelle il a dérivé petit à petit vers l’action terroriste et ça, le FRP n’y est pour rien. Ceci étant, il est bien évident que dans pratiquement tous les esprits, aussi bien en Norvège qu’à l’étranger, le fait que Breivik ait quitté le FRP en 2007 et soit passé à l’action en 2011 ne gomme pas complètement le fait malgré tout qu’il en a été membre à un moment donné et qu’il ait lu, entendu, assimilé toute une rhétorique anti-immigration, anti-islam parce que c’est véritablement le focus du FRP. Les électeurs se sont sans doute dit que le FRP, au moins à une époque, avait une part de responsabilité dans ce qui est arrivé, ce qui est évidemment assez injuste pour le FRP mais qui est tout de même une partie de la réalité.


Au procès de Breivik, on a vu certains représentants de l’extrême droite venir à la défense de Breivik, parlant d’islamisation. Comment réagit l’opinion publique norvégienne a ce type de manifestation ?

Jean-Yves Camus : Les deux attentats commis par Breivik ont été dans un premier temps considérés par beaucoup d’observateurs norvégiens et internationaux comme un acte des islamistes radicaux. Sur le coup, quand on apprend la nouvelle dans l’après-midi du 22 juillet, tout le monde pense que c’est un attentat islamiste. Pourquoi ? Parce que la Norvège héberge depuis maintenant plusieurs décennies un homme qui s’appelle le mollah Krekar, le dirigeant d’origine irakienne d’une sous-branche d’Al-Qaïda et qui a trouvé asile en Norvège. Les Norvégiens essaient de s’en débarrasser mais à chaque fois qu’une décision de justice autorise son extradition vers l’Irak, un autre juge décide qu’il risque sa tête en Irak et qu’il faut lui laisser l’autorisation de rester en Norvège. Sur le coup, tout le monde met ça sur la responsabilité des islamistes radicaux. Quand arrive l’action d’Utoya, il apparaît clairement qu’il y a erreur sur la mouvance politique. La Norvège se réveille avec le premier acte terroriste d’envergure commis par quelqu’un qui se réclame de l’extrême droite. Ce double traumatisme a déclenché une réaction assez unanime de la classe politique norvégienne et de la population. Le premier ministre Stoltenberg a bien indiqué qu’il n’était pas question de revenir sur le modèle norvégien, notamment en termes de respect des libertés fondamentales. Il n’y a donc pas eu de réaction hyper-sécuritaire, mais une grande cohésion nationale. Mais il y a quand même un ver dans le fruit : le FRP est un parti ouvertement hostile à la présence même de l’Islam en Norvège et depuis 20 ans, il recueille quand même entre 15 et 20% des voix.

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